Soigner la crise en postcolonie. Conceptualisations du corps, de la maladie et de la cure en contextes charismatique, ésotérique et traditionnel au Cameroun. Healing the crisis in the postcolony. Conceptualisations of the body, illness and the cure in charismatic, esoteric and traditional contexts in Cameroon. Fr En

Résumé Fr En

Considéré comme un pays africain émergent au début des années 1980, le Cameroun a amorcé dès 1982 et l'accession au pouvoir de Paul Biya (1982), une lente descente aux enfers. Ainsi, le régime répressif mais économiquement stable d'Ahidjo a été remplacé par l'une des dictatures les plus violentes du continent. Ses dérives ont inspiré la notion de postcolonie (Mbembe, 2000). C'est en essayant de résoudre leurs impasses quotidiennes, proliférant au cœur d'une « économie de la détresse », que les Camerounais fréquentent massivement divers espaces ou contextes thérapeutiques. La thèse, qui propose l'étude approfondie de trois de ces contextes : charismatique, « ésotérique » et « traditionnel », s'inscrit dans la lignée des travaux d'Éric de Rosny. Elle est basée sur les enquêtes de terrain de douze mois, menées au Cameroun (Yaoundé et Kribi) de façon intermittente, entre 2021 et 2023, en observation passive et participante auprès des experts rituels choisis. Elle analyse, plus précisément, les pratiques de guérison élaborées par les pasteurs au sein de l'église pentecôtiste Cathédrale de la foi et la cellule de prière presbytérienne ADNA (première partie), celles de deux guérisseurs (nganga ou müđ-matibla) : Joseph et Ruben (deuxième partie) et, enfin, les rituels mis en place par les membres du Mouvement Gnostique International (troisième partie). Tous ces spécialistes du religieux, en dépit de leurs différences, se proposent d'apporter des solutions aux problèmes quotidiens des Camerounais, qu'ils réinterprètent souvent comme le fait d'agressions sorcellaires aux formes et conséquences visibles et invisibles, en proposant une palette conséquente de soins impliquant diverses mobilisations et manipulations du corps. Le focus sur le « corps rituels » (Kedzierska Manzon 2023) ainsi que la théorie de l'embodiment - corporéité ou incarnation - (Csordas, 1990, 1993 ; Lock, 1993) s'avèrent dès lors pertinentes pour mener à bien l'analyse de leurs pratiques. Il s'agit, pour étudier les faits religieux, d'examiner la manière dont une culture ou une tradition religieuse est incarnée, c'est-à-dire matérialisée à travers une expérience corporelle singulière. La thèse s'intéresse aussi aux supports matériels mobilisés en vue de produire ces expériences corporelles suivant l'approche proche du « courant vers la matérialité ». Par ce biais, elle vise à comprendre quelles sont les conceptions du corps, de la maladie et la cure sous-jacentes aux pratiques concernées, et, plus généralement, en vigueur localement. Ces pratiques témoignent d'une circulation d'objets à l'échelle locale et globale et l'influence mutuelle entre les diverses aires curatives, qui s'empruntent concepts, techniques et matériaux. Leur analyse conjointe permet de mesurer les transformations en cours du paysage religieux postcolonial africain en général, et camerounais en particulier.

Considered an emerging African country in the early 1980s, Cameroon began a slow descent into hell when Paul Biya came to power in 1982. Ahidjo's repressive but economically stable regime was replaced by one of the continent's most violent dictatorships. Its excesses inspired the notion of ‘postcolony' (Mbembe, 2000). Trying to resolve their daily problems, evolving within an ‘economy of distress', Cameroonians massively frequent various therapeutic spaces or contexts. The dissertation, which proposes an in-depth study of three of these contexts: charismatic, ‘esoteric' and ‘traditional', follows on the footsteps of Éric de Rosny. It is based on twelve months' fieldwork in Cameroon (Yaoundé and Kribi) - conducted intermittently, between 2021 and 2023 - through passive and participatory observation of the activities of selected ritual experts. More specifically, it analyses the healing practices developed by pastors within the Pentecostal church Cathedral of Faith and the Presbyterian prayer cell ADNA (first part), those of two traditional healers (nganga or müđ-matibla): Joseph and Ruben (second part) and, finally, the rituals put in place by members of the International Gnostic Movement (third part). Despite their differences, all these specialists provide solutions to the everyday problems of Cameroonians, which they often reinterpreted as the result of witchcraft attacks with visible and invisible forms and consequences, by proposing a wide range of treatments involving various mobilizations and manipulations of the body. The focus on the “ritual, embodiment and agency” (Kedzierska Manzon 2023) and the theory of embodiment (Csordas, 1990, 1993; Lock, 1993) are therefore relevant to analyze practices. To study religious facts, we need, indeed, to examine the way in which a culture or a religion is embodied, i.e. materialized through a singular bodily experience. The thesis is also interested in the material supports mobilized to produce these bodily experiences, following an approach close to the ‘material turn'. In this way, it aims to understand what conceptions of the body, illness and the cure underlie the practices in question, and, more generally, how they materialize locally. These practices testify to the circulation of objects on a local and global scale and the mutual influence between the various curative areas, which borrow concepts, techniques and materials from each other. By analyzing them together, we can assess the transformations of the post-colonial religious landscape in Africa in general, and in Cameroon in particular.