6 mars 2024
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Ewa Tartakowsky, « L’Algérie, chat parle : Et si le chat du rabbin était ashkénaze ? », HAL SHS (Sciences de l’Homme et de la Société), ID : 10670/1.7e0672...
Ewa TartakowskyL'Algérie, chat parle Et si le chat du rabbin était ashkénaze ? C'est en 2002, année de la première édition du premier volume du Chat du rabbin, que je découvre ce chat malicieux et son dialogue burlesque avec son rabbin. Je suis alors étudiante en études juives à l'université Jagellonne de Cracovie. Mon cursus comprend l'apprentissage de l'hébreu et du yiddish, de la littérature biblique et contemporaine en yiddish, de l'histoire des Juifs de Pologne et de l'Europe de l'Est, tout comme celle des Juifs dans le monde. Cette histoire mondiale se borne toutefois à celle des Juifs de la Palestine antique, de l'Europe continentale médiévale, moderne et contemporaine, d'Israël enfin. Autant dire que les Juifs maghrébins, de même que les iraniens, irakiens, égyptiens, libyens et « autres », y sont résolument absents. Les seuls sépharades mentionnés sont les expulsés d'Espagne et du Portugal, parmi lesquels un petit groupe qui, à l'initiative d'un riche aristocrate polonais, Zamoyski, fonde une communauté sépharade à Zamość 1 . Je ne maîtrise donc rien de l'univers des Juifs maghrébins mais la bande dessinée de Sfar me fait rire aux éclats : l'esprit dialectique de la bestiole poilue résonne bien avec les textes bibliques, le Talmud, certains éléments du mysticisme juif que j'étudie alors. Pour moi, le rabbin est juif (ce qui est juste) et donc, ashkénaze (ce qui ne l'est plus tout à fait) ou, pour le dire autrement, il est forcément ashkénaze car juif.Bien des années plus tard, je vis déjà à Paris et travaille sur ma thèse de doctorat sur la sociologie de la littérature des Juifs maghrébins en France 2 , je réalise que je n'ai rien compris au Chat du rabbin. Son histoire ne se déroule pas « simplement » dans un monde juif : elle raconte des judéités maghrébines.Car le chat voltairien, athée et amoureux de sa maitresse Zlabya, fille du rabbin, vit en effet dans un Alger qui ne dit pas toujours son nom mais qui se dévoile par ses bâtisses et monuments : dès les premières pages de l'oeuvre, on devine la grande synagogue d'Alger, la mosquée de la Pêcherie Jamaa al-Jdid, la place Randon, la statue du duc Orléans. C'est un univers juif aux référents maghrébins, dessiné et raconté avec une tendresse souvent matinée d'ironie. Zlabya, dont le nom évoque une pâtisserie algérienne sucrée à la cardamone, aimesi l'on en croit la partition posée sur son piano -les airs de Lili Labassi, cet interprète et musicien de chansons andalouses. Le rabbin invite des convives à se resservir du « berbouche », plat à base de semoule à grains épais ou de pain émietté. Il n'est pas rare qu'il parle en plusieurs langues du Maghreb. Lors de sa rencontre avec son cousin le Malka, lorsqu'il « se jette dans les bras de son cousin et lui dit des bénédictions en arabe, en ladino et en pataouète » 3 . De même, le Malka prie « En araméen. En ladino. En judéo-arabe, en kabyle. En hébreu. En espagnol. […] Il chante en arabe » 4 . Ni la carpe farcie ni le yiddish ne sont au tableau, pas plus 1 Ewa Tartakowsky, « Présence sépharades en Pologne. Figures singulières et communauté de Zamosc », Zeszyty Naukowe Uniwersytetu Jagiellońskiego. Prace Historyczne, n°143/1, 2016, p. 57-67.