20 avril 2018
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Elisabeth Odacre, « L'enseignement des Sciences Economiques et Gestion en BTS, en Guadeloupe - entre prescrits nationaux et contexte socio-économique régional », HAL-SHS : sciences de l'éducation, ID : 10670/1.7fu3is
Même s’il existe une production de ressources pédagogiques s’appuyant sur des exemples pris en Guadeloupe ou dans son environnement, l’enseignement des sciences économiques et de gestion ne nous semble pas y avoir été considéré comme objet d’étude, alors qu’il interroge des composantes fondamentales du contexte de ce territoire comme la situation socio-économique et l’environnement réglementaire.Cette étude porte sur le fonctionnement de certains Brevets de Technicien Supérieur en Guadeloupe (BTS), diplôme professionnel français se préparant en deux ans après le baccalauréat, dont les programmes et critères d’évaluation sont nationaux. Les lauréats sont supposés pouvoir s’insérer immédiatement dans le monde professionnel, en particulier dans leur environnement géographique local et sont préparés à cette insertion par des stages en entreprises. Nous nous intéressons à la tension pouvant résulter d’une définition nationale du diplôme, le plus souvent en référence à des réalités de l’Hexagone et le contexte local d’enseignement et d’insertion professionnelle, éloigné sur les plans sociaux-économiques et règlementaires. De manière plus précise, nous questionnons en premier lieu les conceptions de professeurs de ces BTS au regard de cette tension : existe-elle pour eux ? Comment la prenne-t-elle éventuellement en compte dans leur action pédagogique ? Ce questionnement a permis de préparer le second volet de notre étude, auprès d’étudiants de BTS. En effet, la question de l’insertion professionnelle ressort comme importante dans les propos des professeurs. Nous avons donc voulu savoir comment, au fil des stages – moments privilégiés de modification des représentations sociales des étudiants – leur projet professionnel s’affinait. Avant de réaliser ces enquêtes, nous avons dressé un paysage de la place du BTS en Guadeloupe et choisi de concentrer notre travail sur deux BTS, assistant de manager et tourisme, le premier possédant des prescrits faisant que peu référence à l’environnement du déroulement de la formation à l’opposé du second. Nous souhaitions ainsi pouvoir établir une comparaison basée sur ce que nous avons appelé l’ancrage contextuel d’une formation. La première enquête a été réalisée auprès de professeurs en économie-gestion des deux BTS retenus sous forme d’entretiens semi-directifs. Notre objectif était donc d’appréhender leurs conceptions et leurs pratiques déclarées quant à la contextualisation didactique. Les professeurs, faisant état d’effets de contexte occasionnés par la tension susmentionnée, déclarent en tenir compte dans leurs enseignements des sciences économiques et de gestion, en contextualisant leurs pratiques. Cependant, ces contextualisations restent limitées, les professeurs se sentant contraints par le cadre national du diplôme. Par exemple, en BTS tourisme, les décalages entre le contexte local et celui de l’Hexagone peuvent provenir d’une mutation moins accomplie en Guadeloupe (au moment de l’enquête) vers la « tourismatique » (informatique appliquée au tourisme). En BTS assistant de manager, ces décalages peuvent résider dans les spécificités du contexte économique et fiscal comme par exemple, les régimes différents de TVA ou l’existence de l’octroi de mer en Guadeloupe : les professeurs hésitent à enseigner les règles en vigueur en Guadeloupe, de peur de pénaliser leurs étudiants lors des examens définis nationalement. Cette enquête a donc révélé l’existence de paradoxes, entre les visées professionnalisantes des BTS et les prescrits (référentiels, examens…) définis nationalement, et donc (partiellement) inadaptés aux divers contextes d’exercice des métiers. En ce qui concerne les étudiants, une enquête longitudinale par questionnaires a été menée auprès d’une cohorte de chacun des BTS retenus, sur la durée de la formation. Le stage professionnel jouant un rôle important à la fois dans la formation qui conduit à ce diplôme et reconnu comme moteur de changement de représentation chez les étudiants, il nous a semblé intéressant de soumettre les questionnaires avant le départ pour le premier stage, puis après l’accomplissement de chaque stage. Les analyses de cette étude longitudinale montrent que, progressivement, les étudiants du BTS tourisme réalisent que leur avenir professionnel ne sera pas forcément en Guadeloupe et/ou dans le secteur du tourisme. L’environnement économique délicat semble jouer un rôle dans cette prise de conscience. En BTS assistant de manager, un autre phénomène intervient : les analyses révèlent une dégradation de l’image du métier auquel destine le diplôme, quand bien même le choix de cette formation avait été réalisé avec conviction. Ceci est probablement lié à une meilleure représentation de la situation socio-économique de la Guadeloupe. Dans les deux cas, une évolution des représentations sociales des étudiants s’opère bien, vraisemblablement liée aux périodes de stage professionnel.Par ailleurs, dans la cohorte « assistant de manager » que nous suivions, un phénomène inédit – aux dires de l’équipe pédagogique – d’abandons en cours de formation s’est produit. Nous avons souhaité rechercher les motifs de ces abandons à partir de récits de vie des d’étudiants concernés. Cette étude aborde ainsi la question du décrochage dans l’enseignement supérieur en Guadeloupe, en la rapportant au poids du baccalauréat professionnel dans cette académie. L’enquête avec ces étudiants montre à la fois une offre de formation insuffisante pour les bacheliers professionnels qui conduit à des orientations contraintes et une méconnaissance des exigences du diplôme de BTS au regard de leur scolarité en lycée professionnel. Ces résultats nous semblent montrer que les institutions concernées pourraient s’interroger sur la contextualisation des prescrits et des évaluations afin d’aider les professeurs à mieux répondre aux besoins de formation exprimés par les jeunes et les territoires, pour éviter la lancinante question : que faire, lorsqu’on a 20 ans, en Guadeloupe, en Martinique ?