2022
Cairn
Frédéric Lelong, « La relation sociale tolère-t‑elle l’altérité ? La refondation phénoménologique d’une civilité humaniste et ouverte », Les Études philosophiques, ID : 10670/1.7h41og
Selon une certaine tradition phénoménologique (Levinas, Marion, et Sartre en particulier), la relation sociale soumise à la convenance de la civilité et de la mondanité est considérée comme intrinsèquement intolérante par rapport à une expérience plus bouleversante et authentique de l’altérité. « Nous avons affaire à des êtres habillés », comme l’écrit Emmanuel Levinas dans De l’existence à l’existant (1947). Selon Levinas et Marion, la civilité et la mondanité reconduiraient phénoménologiquement le primat de l’individualisme et nous condamneraient à une intolérance transcendantale (contrairement au mouvement de la « charité » selon Marion, dont la phénoménologie prolonge à cet égard la distance pascalienne entre civilité et charité). Ce texte a pour objet de montrer, en s’appuyant sur une réinterprétation phénoménologique de certaines dimensions de la civilité humaniste (telle qu’elle se déploie notamment dans l’œuvre de Baldassar Castiglione, Le Livre du courtisan), qu’une autre phénoménologie de la civilité et de la mondanité est possible. Cette autre phénoménologie a pour objet de dépasser l’alternative entre une expérience « non-civile » de l’altérité (qui tend par ailleurs à prendre une forme théologique étrangère au champ de la civilité traditionnellement fondé sur une relation d’égalité) et un enfermement allergique dans la solitude du moi. Selon cette perspective, la mondanité n’est pas conçue comme une conjuration de l’altérité ou de l’extériorité matérielle, mais comme une dimension de l’existence et de la phénoménalité qui intègre le rapport à la transcendance et le dessaisissement de la subjectivité.