18 juin 2020
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Volume 10 - 2020 : Zones, passages, habitations. Les espaces contemporains à l’aune de la littérature
Nathalie Gillain, « François Bon, ou le désir de construire un livre « comme une ville » », Phantasia, ID : 10.25518/0774-7136.1158
Depuis plusieurs années, François Bon s’attache à penser la transformation du livre à l’ère du numérique en la comparant à celle des grandes métropoles, et travaille ainsi à la conception d’un site-livre (Tiers Livre) fait de fragments autonomes mais indissociables, à l’image des lieux qui composent une ville. Ce faisant, l’écrivain confère une signification toute particulière à la description de passages (souterrains, aériens) qui abolissent la distinction du dedans et du dehors : ce sont des métaphores du livre nouveau, conçu comme un espace à parcourir, un temps de partage et, donc, un espace de socialité. François Bon s’appuie à cet égard, nous le verrons, sur une relecture attentive des textes de Walter Benjamin concernant les passages parisiens. Le site Tiers Livre, dont l’architecture est pensée sur le modèle des galeries souterraines formant un réseau sous les villes, promeut en l’occurrence la flânerie comme mode de circulation privilégié : le site-livre promeut un abandon à la rêverie qui, loin d’être le fait d’individus isolés, participe au contraire à la création d’une communauté numérique. Partant de ce constat, nous démontrons que le motif du « passage », tel qu’il a été défini par Benjamin, a également joué un rôle dans la construction narrative de L’Incendie du Hilton (2009), qui se présente à la fois comme une méditation sur le basculement du livre papier vers le numérique et comme une tentative de produire un texte d’une forme équivalente à celle des villes contemporaines. Cette lecture repose en outre sur la mise en évidence de la mobilisation systématique d’un paradigme photographique dans les textes ayant pour objet la transformation du paysage urbain (Paysage fer, Daewoo), ce qui nous permet de jeter un éclairage nouveau sur les éléments du récit en question. Production d’une image en « négatif » de la ville, géométrisation de l’architecture des lieux, assimilation du livre à une miniature et à la production d’une concrétion temporelle sont autant de procédés mis en œuvre pour construire, dans L’Incendie du Hilton, la représentation d’une grande métropole en ramenant celle-ci à sa forme essentielle, d’abord invisible : un réseau de galeries souterraines apparaît, qui n’est pas un simple décor, mais une métaphore du livre, conçu comme un espace de circulation propice à la flânerie, au rêve et, ainsi, à un expérience de suspension du temps.