2013
Florent Gabaude et al., « Le mapping comme rhétorique de l'image : la pensée graphique et cartographique dans les imprimés de la première modernité », HAL-SHS : littérature, ID : 10670/1.7jfmp0
En tant que support bimédial destiné au plus grand nombre, les feuilles volantes illustrées du début des temps modernes accueillent les genres textuels et iconographiques habituels de l’époque, notamment la cartographie, dont elles reflètent l’importance croissante dans la société et la répercutent à la fois. De même que l’on distingue, dans la rhétorique textuelle antique, topographie et topothésie, la cartographie présuppose un ancrage territorial, tantôt « réel », tantôt purement imaginaire. A côté d’autres formes diagrammatiques, notamment les diagrammes architecturaux ou cosmiques des posters scientifiques de l’époque (Thesenblätter), les cartogrammes font partie des procédés de rhétorique iconique privilégiés du journalisme illustré – métonymiques, métaphoriques ou allégoriques. Les Mappae mundi ou les esquisses ichnographiques que l’on rencontre dans la gravure légendée ont valeur d’interprétation, dans la mesure où elles ne fonctionnent pas seulement comme accroche ou support mnémonique. Les cartogrammes acquièrent également une signification métaphorique : de la carte médiévale en T, qui met en œuvre la métaphore du haut et du bas, en passant par le globe planétaire inversé comme orbe impérial crucifère ou le globe coiffé du bonnet de fou, jusqu’à la sémantique spatiale des tables de distance circulaires (Meilenscheiben) montrant les centres de pouvoir et l’expansion territoriale. Ces tables de distance des riches cités marchandes d’Allemagne méridionale symbolisent la contraction de l’espace et du temps qui marque les débuts du capitalisme. Certaines perspectives militaires et cavalières montrent un souverain en avant-plan devant ses terres ; lorsqu’il disparaît de l’image, il figure en médaillon ou dans le titre. La carte proto-absolutiste est une démonstration de pouvoir, une topoprosopographie (L. Marin) in praesentia ou in absentia. Dès le commencement de l’ère moderne, les critiques de la première mondialisation et de l’« espace strié » (G. Deleuze) se font entendre : ainsi, dans La Nef des fous, Sebastian Brant dénonce la présomption des conquérants et arpenteurs du monde. Dans une première partie, la contribution revient sur l’émergence de la cartographie à la Renaissance et son appropriation immédiate par le proto-journalisme illustré qui transforme les cartes, en pleine page ou comme motifs participant de la représentation, en stéréotypes visuels, en visiotypes (U. Pörksen). Les cartes savantes et populaires sont des instruments de pouvoir : à la « critique de la raison cartographique » (F. Farinelli), il faut adjoindre une critique de la raison iconographique. Les deux parties analytiques passent en revue différentes estampes des XVIe et XVIIe siècles germaniques, d’abord du point de vue de l’iconicité diagrammatique, puis de l’iconicité métaphorique. Ces estampes sont des représentations de nature cartographique ou bien recourent aux cartes et aux planisphères comme objets ludiques (jeu de l’oie) ou symboliques (le globe terrestre). Les représentations cartographiques examinées dans la deuxième partie témoignent d’une grande hybridité, mêlant en une même estampe vedute, dessin paysager et carte planimétrique, image et diagramme. Dans les chorographies, il n’est pas toujours facile de faire le partage entre la « représentation véridique » ou « portraict », c’est-à-dire la reproduction mimétique d’un espace donné, et le relevé cadastral plus abstrait ou la carte à l’échelle avec coordonnées, sur lesquels figurent aussi des dessins décoratifs. On constate un quasi-continuum entre la vue cavalière, le plan (comme celui d’un champ de bataille) et la section de carte. La présence de géogrammes (A. Berque) : vignettes de ville, tours ou châteaux, et d’iconogrammes (U. Eco) : sphère, cercle ou spirale, ajoutent à la complexité de la figuration et de l’interprétation.La troisième partie analyse les cartes allégoriques, phyto-, zoo- ou anthropomorphes, très populaires à l’époque, représentant des pays notamment sous la forme d’une rose, d’un aigle, d’un lion, d’une dame assise, d’un couple voire d’un joueur de cornemuse. Ces cartes singulières contrecarrent la tendance de la rationalité cartographique abstraite à « désocialiser » le territoire représenté (B. Harley) et le remythifient. Grande est la force métaphorique de ces représentations para-cartographiques.