On the role of mobility

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20 janvier 2022

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Serge Bahuchet, « On the role of mobility », Publications scientifiques du Muséum national d'histoire naturelle, ID : 10670/1.86ljvj


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Résumé En Fr

The “pygmy” Aka hunter-gatherers have developed a lifestyle based on displacements, which structure their technical, economic and social organisation. Their mobility depends on their relationships with the other communities of the same forest. In this article, we shall briefly describe the Aka’s organisation, by situating it in a chronological framework, and taking into account the previous periods, including colonial times. In comparison with other communities of hunter-gatherers and farmers in central Africa, we shall try to point out the structuring elements in the economy of the forest societies. Finally, we shall demonstrate how the contemporary constraints, which essentially aim to prevent the Aka from moving, are based both on a lack of understanding of their lifestyle and a true denial of their logic.

Le style de vie des Aka, chasseurs-cueilleurs de la forêt africaine et du rôle de la mobilitéLes « Pygmées » Aka ont développé un style de vie basé sur les déplacements, qui structurent leur organisation technique, économique et sociale. Ils articulent leur mobilité en fonction de leurs relations avec les autres communautés vivant dans la même forêt, au sud de la République Centrafricaine et au nord du Congo. On présente ici leur mode de vie tel qu’observé au cours des années 1970, c’està- dire avant les grands bouleversements qu’ont constitué en premier lieu l’exploitation forestière dont cette région était alors indemne, et plus récemment une succession de guerres civiles, qui ne sont pas encore entièrement terminées. Les Aka forment une population dont le nombre actuel est estimé à 100 000 personnes dispersées dans la forêt. L’unité résidentielle de base est le campement, regroupement de 5 à 20 foyers majoritairement apparentés. Chaque Aka appartient à un lignage patrilinéaire, majoritaire dans chaque campement, mais qui n’est pas le seul. Y vivent aussi des représentants d’une dizaine de lignages différents, qui est fonction du nombre de ménages présent. En premier lieu, les épouses appartiennent à d’autres lignages, du fait de la règle d’exogamie. En second lieu, le mariage entraîne la résidence du jeune marié dans le campement des parents de sa jeune épouse, normalement jusqu’à la naissance de leur premier enfant, et souvent bien au-delà. Cette caractéristique des groupes de résidence entraîne une mobilité sociale et spatiale particulière. En effet, la composition du groupe est toujours changeante, bien qu’un certain noyau autour de l’aîné du lignage dominant perdure. Il y a toujours de nouvelles familles, en même temps qu’il y a toujours des familles qui s’absentent longuement. Il s’agit d’une véritable institution, portant le nom aka bobutu que l’on peut traduire par « la visite ». Ces visites sont celles que l’on rend à ses parents, à sa belle-famille, voire à ses enfants mariés. Plus de que de simples visites, il s’agit en fait de résidence durable, de plusieurs semaines ou de plusieurs mois, où l’on s’installe et vit en participant à la vie commune.Les campements changent d’emplacement 6 ou 7 fois au cours d’un cycle annuel, se déplaçant en général à une heure de marche, mais sans aucune régularité. Ces déplacements sont partiellement liés à l’accès aux ressources de chasse et de collecte et à la saisonnalité. Toutefois, même si l’écosystème forestier est loin d’être homogène, la majorité des ressources est disponible autour des campements, en toutes saisons. La collecte des végétaux s’effectue quotidiennement dans un rayon de 2 à 3 km autour du camp (tubercules d’ignames, ramassage des noix oléagineuses, cueillette des feuilles, champignons), ou en parcourant une dizaine de kilomètres (chasses ordinaires aux petits mammifères, singes, Atherurus, piégeage des antilopes). Dans cette région qui connaît deux saisons (une saison sèche de décembre à mars, une longue saison des pluies avec un maximum de précipitations de juillet à septembre), peu de ressources sont réellement saisonnières. En ce qui concerne la collecte, deux activités se distinguent : la recherche du miel en saison sèche, et le ramassage des chenilles au plus fort de la saison des pluies, des tâches qui mobilisent la participation de la plupart des membres de la communauté mais ne nécessitent pas de déplacement particulier à partir du campement. Pour la chasse, la saison des pluies est mise à profit pour poursuivre les grands mammifères à la trace, par un petit groupe d’hommes adultes armés de sagaies, qui se déplacent pendant plusieurs semaines en changeant chaque nuit de bivouac, laissant femmes, enfants et vieillards dans le camp familial. A l’inverse, la saison sèche est celle des grandes battues collectives aux filets pour chasser les céphalophes, auxquelles participe toute la communauté, hommes, femmes, enfants, et pour lesquelles plusieurs campements voisins se réunissent pendant plusieurs semaines. C’est une période de très fortes interactions sociales pour des groupes qui le reste de l’année sont dispersés. La chasse aux filets est efficace si elle est réalisée par un très grand nombre de participants, auquel cas elle dégage suffisamment de gibier pour nourrir une large communauté qui se réunit pour des fêtes de grande importance sociale. Cette période est particulièrement importante en termes de coopération et de structuration sociale de la communauté aka d’une région particulière. Les groupes locaux aka présentent donc une modification de leur structure au cours de l’année, avec une alternance de petits groupes familiaux, des groupes d’hommes et de femmes séparés, et le regroupement de vastes communautés réunissant de nombreuses familles.Concernant l’utilisation de l’espace, les groupes locaux qui se réunissent en saison sèche sont toujours les mêmes ; on pourrait dire qu’ils se partagent le même territoire. Il est aisé de constater d’autre part que les déplacements des groupes au long de l’année et d’une année à l’autre s’effectuent toujours dans le même espace, sans que les mêmes sites de camp soient réutilisés d’une année à l’autre. Les déplacements sont réalisés en empruntant les mêmes sentiers. Ce sentier commence ou se termine dans un village d’agriculteurs ; non seulement c’est l’axe du territoire le long duquel s’effectuent les activités et les déplacements forestiers d’un groupe aka, mais il les relie aussi au monde des agriculteurs non-aka. Les relations des Aka avec les peuples voisins sont fondées sur des échanges : produits de la forêt (viande, miel, chenilles) contre produits agricoles (féculents : manioc, bananes à cuire), outils de fer (pointes de lances, fers de hache, couteaux) et marmites, ainsi que des prestations sous forme de main d’oeuvre, notamment pour le défrichage des nouveaux champs. Ceci autorise les Aka à bénéficier de produits de l’agriculture. Ces interrelations, que l’on pourrait caractériser comme l’association de sociétés spécialisées aux économies complémentaires, ont comme conséquence qu’elles se partagent le même écosystème, la forêt, chacune avec ses techniques particulières et son propre calendrier (par exemple, les agriculteurs ne savent pas récolter le miel ; ils pratiquent le piégeage là où les Aka chassent à la sagaie). Les territoires se superposent sans réellement se confondre.Les Aka sont une des entités parmi une vingtaine d’ethnies dites « pygmées » qui vit dans le bassin congolais, avec une diversité des modes d’habitats et des styles de vie contrastés du point de vue de l’utilisation de l’espace et de la mobilité, mais qui toutes sans exception sont associées à des communautés de non-pygmées, formant deux entités d’une structure socio-économique singulière. Une brève comparaison avec deux autres populations pygmées, les Baka du Cameroun (dont le style de vie mobile ressemble grandement à celui des Aka) et les Bongo et Koya du Gabon (avec un habitat fixe en villages accompagné de déplacements saisonniers en forêt), dans un contexte plus récent (observations début XIXe siècle), permet de dégager des tendances, relatives aux changements et aux traits communs des chasseurs-cueilleurs de forêt, que l’on résume ici.Nomades ou mobiles ?Les déplacements des chasseurs-cueilleurs forestiers s’effectuent toujours dans des espaces limités, prévisibles, délimitant ce que l’on peut qualifier de territoires. On ne peut pas réellement les qualifier de nomades. Il faut distinguer ces sociétés forestières des sociétés pastorales des zones arides d’Afrique ou d’Asie qui se déplacent sur des distances considérables, définissant durablement des routes de commerce, et avec des troupeaux d’animaux d’élevage (Peuls, Touaregs, en Afrique ; Bédouins en Arabie). Par contraste d’autres populations d’éleveurs de rennes, Saami d’Europe du Nord ou Dolganes de Sibérie, alternent pâturages d’été et pâturages d’hiver sur des territoires limités. Dans ce contexte, je préfère qualifier de mobiles les communautés de chasseurs-cueilleurs comme les Pygmées.. Fluidité de l’organisation socialeEn 1965, C. Turnbull a qualifié de flux l’organisation sociale changeante qu’il a mise en évidence chez les Mbuti de l’Ituri au Congo : les groupes sociaux alternaient, au cours de l’année, des périodes de dispersion et des périodes de regroupement, en un mouvement régulier de fusion et de fission. Un tel pattern avait été décrit dès 1905 chez les Inuit du Groenland par Marcel Mauss et Henri Beuchat. En fonction de l’alternance des saisons et avec des contraintes extrêmes, les Inuit se regroupaient en hiver dans des maisons communes, et les familles nucléaires se dispersaient en été sur de vastes territoires dans des camps de tentes. Pendant la phase de vie commune, une intense activité sociale se développait, ce que les auteurs ont qualifié de phase de vie publique, la saison estivale étant celle de la vie privée. Depuis, ce phénomène a été décrit dans la plupart des communautés de chasseurs-cueilleurs dans tous les écosystèmes, au point d’être désormais considéré comme l’une des caractéristiques majeures de ce style de vie.Ruptures et empêchements modernes.A la fin du XIXe siècle, lles Européens prennent possession de la forêt du bassin congolais et contraignent les populations locales à des travaux forcés pour extraire des ressources précieuses, ivoire, caoutchouc sauvage, plus tard cuir d’antilopes. Cela a entraîné des modifications des techniques de chasse, du rythme des activités et donc de la mobilité des chasseurs-cueilleurs. Les groupes pygmées mobiles échappent à ces pratiques coercitives, en se sauvant dans la forêt, et ne sont accessibles que s’ils le veulent bien. Jusqu’à la veille de la 2e guerre mondiale, ils se spécialisent dans la chasse à l’éléphant, ils approvisionnent en viande de chasse les villageois mobilisés par la collecte du caoutchouc, puis ils chassent aux filets les antilopes pour les peaux. La pression coloniale a considérablement modifié les économies locales, non seulement celles des chasseurs-cueilleurs, mais encore plus celles des agriculteurs (modification des techniques de chasse, abandon des chasses collectives pour des pratiques individuelles, pose des pièges et chasse au fusil). Actuellement, les demandes croissantes des villes d’Afrique centrale provoquent une spectaculaire augmentation du marché de la viande de brousse, glissant ainsi d’une chasse pour l’approvisionnement domestique à une chasse à but commercial.Dans le même temps, les pouvoirs coloniaux puis nationaux ont regroupé en bord de piste les villages des agriculteurs, et poussé à la sédentarisation des populations mobiles. La mobilité des Pygmées leur avait permis, au début de la période coloniale, d’échapper aux intenses perturbations mortifères qu’ont connues les autres communautés, tout en participant à un système commercial pluriethnique. Dans la période ultérieure, la même mobilité leur permettait d’échapper aux pressions extérieures. Elle leur a donc permis jusqu’à notre siècle de maintenir un rythme de vie qu’ils ont choisi mais aussi dont ils ont hérité.La forêt est désormais la proie de multiples programmes de développement, d’exploitation et de conservation qui ont comme effet de modifier profondément les conditions de circulation et d’accès aux ressources. L’emprise moderne s’est accrue, à la fois par le développement de cultures d’exportation et la délimitation d’aires protégées, dont la pénétration est sévèrement réprimée. Même les frontières nationales ne sont plus des refuges, car les projets de conservation sont désormais transfrontaliers, et la répression également.Un second point qui mérite attention concerne la complexe histoire linguistique et culturelle des différents groupes pygmées, qui peut être résumée ainsi : tous les groupes parlent des langues appartenant aux familles de langues présentes en Afrique centrale, et partagées par de nombreuses populations. Ces langues sont diversement proches des langues parlées par les autres populations de la même région. On relève que les groupes les plus nombreux, les plus mobiles, et dispersés sur de très vastes territoires (c’est le cas des Baka, Aka et des Mbuti), sont aussi ceux qui présentent le plus de différences culturelles avec leurs voisins agriculteurs (musique, religion et cosmologie). On peut donc avancer l’hypothèse que c’est la mobilité sur de vastes surfaces qui a favorisé la différenciation et l’identité de ces Pygmées par rapport à leurs voisins, renforcée par une réelle stratégie d’évitement, ce qui a donc assuré la protection et la résilience culturelle de ces groupes pygmées à travers des siècles et en dépit d’épisodes historiques dramatiques.

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