Antilles, la prégnance de l'histoire et du lieu dans les pratiques plastiques

Résumé Fr

Les Antilles françaises sont généralement désignées par le terme de région « ultramarine » ou « ultrapériphérique », formules qui sous-entendent un éloignement important et qui induit d'autres notions comme celles de centre et de périphérie. Les Antilles se situent à quelque 7.000 kilomètres du pays auquel elles sont administrativement rattachées : la France. Anciennes colonies devenues département en 1946, la Martinique et la Guadeloupe, pour beaucoup d'habitants, se vivent encore comme une colonie ou une néocolonie. Ces deux îles, que l'on appelle volontiers dans le langage quotidien des Pays, sont donc des extensions du territoire français situées aux portes des Amériques. Cette situation est complexe puisque ces îles relèvent d'une autorité située en Europe tout en appartenant à l'espace caribéen ou encore américain. Les notions que nous venons d'évoquer renvoient certes à une dimension spatiale et géographique, mais elles ne sont pas sans conséquence dans la vie quotidienne. Elles renvoient à des implications dans les domaines économique et social. La grève générale qui a totalement paralysé la Guadeloupe puis la Martinique durant une quarantaine de jours en février et mars 2009 a été la manifestation d'une remise en cause du fonctionnement de la société ainsi que du rapport entre ces îles et la France. Ces aspects géographiques, économiques et sociaux ne sont pas sans influer sur le domaine culturel et en particulier sur les pratiques artistiques. L'insularité a des conséquences sur le mode de vie, sur la relation au lieu, à l'autre, au monde. Elle a également un impact sur les productions artistiques, d'autant lorsque l'histoire de ces îles est lourdement chargée d'un passé traumatique. La Caraïbe, en effet, qu'elle soit insulaire ou continentale, partage un passé commun : la quasi-disparition des populations premières, les Amérindiens Taïnos, Arawaks, Caraïbes, décimés par les virus apportés et transmis par les premiers colons européens, mais aussi persécutés, voire exterminés. Il subsiste aujourd'hui très peu de « natifs » dans la Caraïbe insulaire. Autre point commun : la traite négrière, la déportation de millions d'Africains réduits en esclavage qui, pour les survivants de la traversée de l'Atlantique, durent s'adapter à un nouvel environnement et vivre dans des conditions éprouvantes. Le maître avait, sur ses esclaves, droit de vie et de mort. Aujourd'hui encore, ces périodes historiques demeurent extrêmement prégnantes dans les esprits. Le métissage humain très visible dans certaines îles, de son côté, rappelle que les premiers métissages furent généralement le résultat de viols exercés par le maître sur les femmes esclaves. Cette rencontre tragique entre Amérindiens, Européens, Africains, puis plus récemment l'arrivée, dans d'autres contextes, d'Indiens, de Syros-Libanais, de Chinois et les métissages qui en ont résulté amènent aujourd'hui de nombreux artistes et écrivains à poser la question de l'identité. La Caraïbe est un creuset où sont nées et se sont développées des populations nouvelles, issues de ces rencontres. Ainsi qu'ont pu l'exprimer des auteurs comme le Mexicain Carlos Fuentes ou le Martiniquais Édouard Glissant, la tragédie dans ce qu'elle a de sanglante, de barbare, a toutefois donné naissance en Caraïbe et dans les Amériques à des peuples nouveaux, cela dans un processus imprédictible et inarrêtable. Le contexte d'insularité est également responsable de la difficulté pour les artistes antillais de montrer leur travail à l'extérieur de leur île en raison d'un surcoût financier lié au transport des oeuvres par voie maritime, a fortiori par avion. Beaucoup se préoccupent des matériaux et des modalités d'élaboration dans la perspective de faire voyager leurs oeuvres.