D’une « oreille écoutante » au « chercheur solidaire » : le glissement vers la recherche-action, vecteur de légitimation de la place de l’ethnologue au bloc opératoire

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17 janvier 2024

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Nicolas El Haïk-Wagner, « D’une « oreille écoutante » au « chercheur solidaire » : le glissement vers la recherche-action, vecteur de légitimation de la place de l’ethnologue au bloc opératoire », HAL-SHS : sociologie, ID : 10670/1.8aql9c


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Cette communication revient sur une recherche doctorale explorant les transformations contemporaines de l'activité opératoire dans les spécialités chirurgicales lourdes. Un terrain dans 5 blocs opératoires de CHU franciliens et du Grand Est (600 heures d’observation) et une soixantaine d’entretiens semi-directifs ont été conduits. Si tout terrain ethnographique implique une forme de participation du chercheur, le projet de thèse ne comportait initialement pas de recherche-action. Au sein d’une institution, l’hôpital, en crise, où la place d’un chercheur non-soignant peut poser question, nous souhaitons insister sur cinq facteurs – le temps long, une posture d’écoute non clinicienne, une attention aux rapports de domination, une posture de « chercheur solidaire » et un glissement vers une dimension participative – qui ont constitué un gage de crédibilité et un vecteur de « justice cognitive » (Piron 2014) face à la « demande sociale » (Castel 2004) des enquêtés. « Combien de temps allez-vous rester ? » Au bloc opératoire, espace fermé par excellence, l’ethnologue se trouve tout d’abord être une « oreille écoutante » (Pouchelle 2010) , particulièrement sollicitée par les professionnels plus en marge des dynamiques de groupe et par ceux ayant un intérêt affirmé pour les sciences sociales. Il tire tout d’abord sa légitimité de sa longue durée d’immersion. Elle s’est révélée gage du sérieux et surtout de l’engagement perçu du chercheur, et tacitement comparé à « ceux qu’on ne voit jamais », comme les directions d’hôpital. Face au cadencement d’une activité journalière minutée, où la garantie d’une pause déjeuner de 30 minutes sur une journée de 12 heures n’est pas toujours assurée, face à un « travail émotionnel » (Hochschild 2017) de rassurance de patients anxieux et à une répression émotionnelle perçue comme une conséquence inévitable de l’activité, face à des communications entre collègues d’une brièveté rare et au caractère éminemment fonctionnel, trouver un interlocuteur disponible (quand il est sur le terrain), extérieur au réel de l’activité mais non moins connaisseur des us et coutumes de celle-ci, a participé de l’accueil enthousiaste qui m’a été réservé.« Ah, et d’ailleurs, je te dois combien pour la séance ? » La métaphore de la cure thérapeutique était quasi-systématique après tout échange prolongé. Au-delà de la longue durée d’immersion, la posture d’écoute non clinicienne participe de la légitimité de l’ethnologue. La récurrence de cette métaphore exprime à nos yeux la recherche d’une écoute active face au plaisir et aux épreuves tirés de l’engagement dans l’activité, autant que l’envie d’une posture écoute qui ne soit pas placée sous le sceau d’un mandat thérapeutique. Alors que les espaces institutionnels d’écoute comme les psychologues du travail sont sous-utilisés, le sociologue, trop heureux qu’on lui « fasse la conversation », se révèle une soupape non clinicienne bienvenue face au double « risque émotionnel » caractéristique du travail : celui d’être affecté dans son bien-être, mais aussi dans la réalisation même de son activité (Bonnet 2020) .« Vous allez parler de la crise de l’hôpital ? »Dans un contexte de difficultés systémiques de l’hôpital, le sociologue se trouve investi comme une chambre d’écho et un allié venant légitimer les difficultés rencontrées sur le terrain et les affres de la rationalité gestionnaire, alors que leur seule dénonciation sur le terrain médiatique semble insuffisante pour participer à la montée à l’agenda de cette « demande sociale ». Une même logique s’observe vis- à-vis des groupes professionnels dominés : le sociologue est là aussi perçu comme un porte-voix aidant à mettre en lumière les rapports de domination. Ce fut le cas avec les chirurgiennes, rapportant la violence des rapports sociaux de sexe au bloc opératoire, ou les internes, évoquant l’invisibilité du travail administratif fourni et les réprimandes lassantes de la hiérarchie. Face à une sociologie interactionniste des groupes professionnels invitant à une posture critique face à leur rhétorique, le chercheur se trouve néanmoins parfois tiraillé entre forte empathie pour l’imposant dévouement des acteurs et nécessaire distanciation épistémologique.La posture du « chercheur solidaire »Dans ce contexte, adopter cette posture, qui s’attache à « penser conjointement écriture, utilité et usage des savoirs scientifiques », permet d’orienter les savoirs dans une perspective plus émancipante qu’aliénante (Piron 1996) . Nous avons apporté une attention particulière à la restitution (Piron 1996) , créant des « cercles de restitution » trimestriels à l’oral (Franssen, Van Campenhoudt, et Degraef 2014) , par groupe professionnel, et cherchant des « alliés » en écriture (Weber 2009) . SI nous avons toujours transmis aux acteurs la même version des textes que celle soumise à des revues ou publiés dans la thèse, cela s’est accompagné d’une « éthique du souci des conséquences » (Piron 1996) , soit une interrogation permanente sur les retombées sociales des activités de recherche. Cela a impliqué de ne pas faire mention d’attaques ad hominem et de rejeter certains verbatims blessants, mais aussi de recontextualiser des concepts de la sociologie interactionniste – comme la division morale du travail – parfois mal compris.Un glissement vers une forme plus interventionniste« L’anthropologue, au-delà de ses motivations affichées, est inscrit par ses interlocuteurs dans la sphère certes de la compréhension mais aussi de l’action, de l’intervention » nous rappelle Laurent Vidal (2011) . Dans un contexte d’évolution des territoires socioprofessionnels marquée par l’universitarisation de la profession infirmière, nous avons été invités à travailler, au sein de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris, à la réingénierie de la formation d’infirmière de bloc opératoire (Ibode) suite à son obtention du grade master 2, qui implique un volume significatif d’enseignements en sciences sociales et la réalisation d’un mémoire. Face à des attentes opérationnelles - favoriser la professionnalité infirmière – et à des instituts de formation pas toujours aguerris à l’écosystème des sciences sociales et aux exigences universitaires, il s’est ainsi agi de recueillir les besoins et d’élaborer une unité d’enseignement de sciences humaines et éthique appliquées au bloc opératoire. Ce travail, qui n’est pas sans questionnement (opérationnalité des résultats, niveau d’exigence académique pour des professionnels, etc.), a permis une mise à l’épreuve régulière des résultats de la thèse.

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