« L’ethos de Léon Gambetta : paradoxe d’une double rupture »

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Léon Gambetta commence sa carrière politique en 1868, sous le Second Empire. Originaire du Lot, fils d’un épicier, il est peu connu de la grande bourgeoisie républicaine. Ainsi est-il décrit à Juliette Adam qui tient salon mondain à Paris : « Lui, une sorte de commis-voyageur en marchandise politique estourbissante, se gobant, provincial jusqu’aux moelles, provincial d’épicerie, borgne avec cela, et habillé et chemisé et cravaté et pantalonné, en dégringolade ». (Juliette Adam, 1905). Ces traits extra-linguistiques vont contribuer à forger la légende du futur leader, qui se montre d’emblée en rupture avec les « dimensions catégorielle et expérientielle » de l’ethos du personnel politique républicain. Cet ethos préalable est retravaillé tout au long des très nombreux discours tenus par l’orateur, tant à l’Assemblée Nationale que devant des publics populaires. Joseph Reinach évoque un parler gaulois, une langue nouvelle qu’il met en relation avec l’innovation politique que représente le leader : « La sienne est celle du XVIe, le parler large et plein qui puise les mots dans le riche et robuste lexique du peuple, les pousse en avant, drus et nombreux, sans autre méthode que celle qui est nécessaire à marquer le progrès des idées, étale les images, surabonde de belle humeur et appelle toutes les choses par leur nom. » (Joseph Reinach, 1881). L’ethos discursif de Léon Gambetta est donc celui d’un homme nouveau, celui d’un leader qui annonce haut et fort la venue des « couches sociales nouvelles » au pouvoir. Les comparaisons avec le style de Danton ou de Mirabeau sont régulièrement évoquées. Et pour autant, héritier de la Grande Révolution, Léon Gambetta ne cesse de répéter que les temps héroïques et révolutionnaires sont clos. L’homme nouveau se veut rationnel, assagi, loin des passions politiques qui ont entraîné le pays, à de multiples reprises, dans le chao. L’ethos rhétorique construit tout au long des années 1875-1882, est celui d’un homme de gouvernement « opportuniste ». Il traduit donc une double rupture, avec les élites politiques de la grande bourgeoise républicaine d’une part, avec le monde militant socialiste d’autre part. Dans une démarche en Analyse du discours, cet article se propose d’analyser ce paradoxe, cette tension à l’œuvre dans l’image de soi que construit Léon Gambetta, celle d’une rupture inscrite dans un héritage révolutionnaire fondateur.

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