2022
Sebastian Jutisz, « De la révolte de l’esprit au matérialisme dialectique. Henri Lefebvre, le groupe "Philosophies" et le Parti communiste », HAL-SHS : philosophie, ID : 10670/1.8fe9mi
Longtemps avant que le marxisme hétérodoxe et la pensée du jeune Marx connurent leur apogée en France dans les années 1950 et 1960, le philosophe Henri Lefebvre formula une critique du stalinisme à partir du concept de l’aliénation. Cet article retrace l’émergence d’un marxisme hétérodoxe, critique du marxisme dominant, à partir des années 1920 en France, étroitement liée à la figure de Lefebvre. En mettant son interprétation novatrice du marxisme en rapport avec son engagement au sein du groupe »philosophies« et son rapport conflictuel avec le Parti communiste, la mise au point éclaire le contexte politique et idéologique de la pensée du philosophe de l’entre-deux-guerres. Elle part de l’hypothèse que ce sont les répercussions de la Première Guerre mondiale qui amenèrent Lefebvre et le groupe des »philosophes« à rejeter le bergsonisme et de se rapprocher du marxisme qui leur paraissait plus proche de la vie et du vécu. Or, la confrontation avec une société sclérosée et les différentes crises de l’époque tels que la guerre du Maroc et la montée du fascisme provoquèrent chez Lefebvre non seulement une aversion contre le néo-kantisme de ses maîtres, mais l’amenèrent également à se démarquer d’une interprétation évolutionniste du marxisme telle qu’elle fut propagée par l’orthodoxie communiste. Pour lui, le marxisme n’était pas une science, mais une philosophie renouvelée. Contre les interprétations positivistes du marxisme, Lefebvre formula à partir du concept hégélien de l’aliénation une critique de la pensée progressiste moderne, ce qui lui fournit les outils intellectuels pour conceptualiser comme un des premiers intellectuels français théoriquement la montée du fascisme.