2018
Cairn
Gérald Hess, « L’expérience esthétique à l’épreuve des valeurs de la nature : vers une esthétique environnementale intégrale », La Pensée écologique, ID : 10670/1.90rkg3
Grâce aux travaux du philosophe Allan Carlson notamment, l’esthétique environnementale est devenue aujourd’hui un champ de la réflexion philosophique qui s’est clairement émancipé de l’esthétique artistique aussi bien que d’une conception subjectiviste de l’esthétique. Dans cet article je questionne d’abord le modèle cognitiviste de Carlson dans une perspective anthropologique et épistémologique, afin de montrer que la beauté de la nature, fût-elle épistémiquement objective, est insuffisante pour servir un argumentaire en faveur d’une protection de l’environnement. Je suggère que ce modèle doit être corrigé ou complété par une approche en 1re personne, comme celle que propose la phénoménologie. Aussi bien l’esthétique de l’engagement d’Arnold Berleant qu’une esthétique de la médiance, inspirée de l’œuvre du géographe Augustin Berque, invitent à dépasser le dualisme épistémologique encore sous-jacent à l’esthétique objectiviste de Carlson. La perspective phénoménologique conduit finalement à revisiter l’esthétique acentrique du détachement de Stan Godlovitch. Le détachement ne signifie pas nécessairement un point de vue extérieur au monde ; on peut être détaché de l’intérieur du monde en étant au plus près de la présence de la nature elle-même. Une esthétique environnementale au service de la protection de l’environnement doit être une esthétique intégrale : elle doit recourir non seulement à la beauté de la nature dans une attitude de désintéressement, mais encore à son « habitabilité » dans une attitude d’engagement et à son mystère dans une attitude de détachement.