21 janvier 1980
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Daniel Bizeul, « Le métier de curé: When the Catholic social order was the norm, 1900-1960 », HAL SHS (Sciences de l’Homme et de la Société), ID : 10670/1.926102...
Cette enquête en vue de la thèse a été réalisée entre 1975 et 1979 dans la région nantaise. Elle porte sur le rôle profane du clergé rural entre 1900 et 1960. Elle prend appui sur ma connaissance directe du milieu, et fait appel à une documentation inédite, en particulier des registres de paroisse, sortes de chroniques de la vie paroissiale tenues par une partie des curés jusque vers les années 1960, les données de diverses enquêtes réalisées par le Service diocésain de sociologie sur l’état religieux des paroisses, des entretiens avec des prêtres en paroisse, divers responsables diocésains, des instituteurs laïcs, des paysans âgés.Cette enquête m’a conduit à faire état d’une société mouvementée et fracturée, composée de groupes aux ressources inégales et aux intérêts et visions du monde antagonistes, que s’efforçait de maintenir en l’état un corps professionnel armé d’une rhétorique religieuse. Elle m’a aussi conduit à montrer que les principes spirituels mis en avant par les membres de ce corps professionnel avaient à leur source des motivations plus terre à terre, comme de gagner sa vie, tenir un rang, exercer un pouvoir, améliorer sa position.Je montre que les activités des prêtres se sont exercées dans la plupart des domaines de la vie sociale, privée ou publique, conçus comme autant de domaines où doit se réaliser le projet d’une vie chrétienne effective. La société paroissiale ainsi organisée, avec plus ou moins d’intensité et plus ou moins de succès selon les endroits et selon les périodes, est conçue sur le mode de l’institution englobante, à préserver des influences négatives de l’extérieur, pour mieux orienter et contrôler les façons de vivre de la population. Relations amoureuses, politique de la municipalité, scolarisation des enfants, formation professionnelle, transformations du monde agricole, conditions de vie de la population, tout paraît se relier et favoriser ou contrarier la paix sociale et l’adhésion religieuse. Ils ont ainsi organisé à plusieurs reprises des manifestations politiques de grande ampleur, contre les Inventaires du début du siècle au moment de la Séparation de l’Église et de l’État, contre le Cartel des gauches et contre le Front populaire par la suite. Ils ont exercé une surveillance à l’encontre des opposants politiques et syndicaux, ont effectué un travail de persuasion non exempt de chantages auprès des élus indécis et des paroissiens peu sûrs. En direction des enfants, ils ont créé des écoles catholiques, ont fait construire des bâtiments, ont recruté la main-d’œuvre enseignante, et, quand les rapports de force locaux étaient favorables, ont contraint les parents à envoyer leurs enfants dans les écoles catholiques, désignant alors les instituteurs laïcs, dont beaucoup étaient catholiques et pratiquants, comme des agents du diable. Entre 1920 et 1935, sur l’injonction de Mgr Le Fer de la Motte, évêque de Nantes proche de l’Action française, sont ainsi créées 120 écoles de garçons dans le diocèse. Les prêtres ont alors le devoir de débuter leur carrière comme vicaires, c’est-à-dire acolytes de leur curé, et comme instituteurs. En 1950, un prêtre de paroisse rurale sur cinq est encore vicaire-instituteur. Pour améliorer la situation des paysans, et ainsi les garder à la terre, éviter les conflits sociaux, préserver les équilibres locaux, dès le début du siècle ils ont créé des mutuelles, des coopératives, des caisses de crédit. En 1964, le bureau des deux-tiers des caisses rurales de crédit mutuel de Loire-Atlantique est encore situé dans le presbytère, l’un des prêtres en est le secrétaire ou le directeur. À partir des années 1930, en parallèle de ces initiatives, ils ont lancé les mouvements d’action catholique, en particulier la JAC, et ont organisé des cours agricoles par correspondance sous l’égide de l’École Supérieure d’Agriculture d’Angers, dirigée par des Jésuites. Près de la moitié des moniteurs en charge des cours dans les paroisses sont des prêtres, les autres étant des religieux et des maîtres laïcs des écoles catholiques. Plusieurs des dirigeants de la FNSEA, comme ce fut le cas de ceux de la CFDT en milieu ouvrier, ont été formés par le clergé au travers de la JAC et des cours agricoles par correspondance dont il était le relais local. L’engagement dans ces diverses actions n’est pas unanime cependant, elle est parfois source de désaccords et de rivalités entre les prêtres d’une même paroisse ou d’un même secteur. Sur fond d’inégalité hiérarchique et de division ordinaire du travail, ils s’opposent selon la génération, la formation reçue, les inclinations intellectuelles ou théologiques, les expériences vécues, comme la Résistance ou la guerre d’Algérie. Ils ont dès lors des clientèles plus ou moins attitrées, qui ont une influence et un poids numérique inégaux au sein de la paroisse, et dont les qualités ou les compétences sont mises à l’honneur ou dévaluées selon les périodes.Ces oppositions au sein de la paroisse ont pour pendant des oppositions entre paroisses au sein du diocèse. Dans les unes, qualifiées de mauvaises, la pratique religieuse est médiocre, le denier du culte et les messes pour les morts rapportent peu, l’école laïque est bien implantée, la municipalité est républicaine ou de gauche. Les autres, qualifiées de bonnes paroisses, offrent un autre visage : pratique élevée, vote à droite, générosité financière, implantation des écoles catholiques et succès des actions sociales. Dès lors, être nommé dans les unes apparaît comme une faveur et peut être une étape vers des responsabilités au niveau diocésain, tandis qu’être nommé dans les autres signale une sanction ou s’impose en début de carrière. À ce compte rendu d’enquête en deux volumes est adjoint un texte qui a fonction d’avant-propos, et qui est posté à part, intitulé : Le métier de curé. Une enquête des années 1970 relue à 50 ans de distance.