24 mars 2022
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Sophie Costa, « Evolution socio-environnementale des oasis depuis les 5 derniers millénaires dans le désert sud-est arabique (Oasis de Ras al-Khaimah et Masafi, Emirats Arabes Unis) : Approche géoarchéologique et géochimique », HAL-SHS : archéologie, ID : 10670/1.958uxa
L’agriculture en milieu aride est en équilibre permanent entre variations environnementales et adaptations technologiques et économiques. Depuis les premières études archéologiques menées dans le sud-est arabique, il est couramment admis que c’est le modèle oasien traditionnel qui y est employé depuis près de 5000 ans, restitution fondée sur les études des structures hydrauliques et des restes archéobotaniques. Pourtant, dans un milieu aussi sensible et dans le contexte actuel d’abandon de ces espaces, il est difficile de croire à une trajectoire si stable, et il apparait important de comprendre leur dynamique sur le long terme. A ce jour, très peu d’études diachroniques ont été menées sur les espaces agricoles oasiens en eux-mêmes. Pourtant, leurs sols résultent de l'action combinée de processus naturels et anthropiques, et semblent pouvoir constituer des archives précieuses pour la compréhension des trajectoires Homme-milieu. Afin de promouvoir les séquences pédo-sédimentaires oasiennes comme objets d’étude à part entière, nous avons développé une approche géoarchéologique, mise en œuvre dans les oasis de Masafi et de Ras al-Khaimah aux Emirats arabes unis, qui vise à exploiter leur potentiel d’archivage, tant environnemental qu’anthropique. Afin de comprendre et retracer l’origine et le mode de construction des sols oasiens, mais aussi d’identifier les signatures pédo-sédimentaires caractéristiques de différentes pratiques culturales, des référentiels sédimentaires et agricoles ont été créés sur l’actuel. Appliqués à l’étude de 37 séquences profondes, dans une démarche exploratoire des oasis qui se veut systémique, multiscalaire et diachronique, nous avons ainsi pu retracer la série d’événements anthropiques et/ou naturels qui a mené à leur édification. Les séquences oasiennes ont ainsi enregistré les fluctuations climatiques qui caractérisent la fin du Pléistocène et le début de l’Holocène. Des phases de réactivation éolienne ont été identifiées durant les MIS4 (~65 ka BP) et MIS2 (~21 ka BP), et des reprises alluviales ont été observées au début du MIS3 (~54 ka BP), au tardiglaciaire (~15 ka BP) et au début de l’Holocène (~8-6 ka BP), dans les piedmonts et les montagnes al-Hajar. Des incisions ont aussi été mises en évidence dans la plaine de Sir, une première entre 9 et 8 ka BP, et une seconde entre 6 et 4.2 ka BP. Si au cours de la seconde moitié de l’Holocène, les dynamiques sédimentaires sont en partie artificialisées par les installations oasiennes, des réactivations alluviales ont pu être identifiées entre ~4 et 3 ka BP, et autour de ~1.3/1 ka BP. Une forte déstabilisation hydro-climatique est observée entre 3 et 2 ka BP, aboutissant à une aridification autour de 2 ka BP. Parallèlement, plusieurs cycles d’emprise agricole régionale ont pu être mis en évidence : l’Age du Fer I/II (~3.3-2.6 ka BP), puis la période Islamique ancienne (~1.3-1 ka BP), et enfin la transition entre les périodes Islamique moyenne et récente (~0.6-0.3 ka BP). Une déprise agraire régionale a été documentée à l’Age du Fer III et à la période Pré-Islamique Récente (~2.6-1.7 ka BP). Il apparait donc que si certaines communautés n’ont pu s’affranchir des conditions environnementales fluctuantes, d’autres ont su s’y adapter, alors même qu’une forme de continuum des pratiques agricoles semble exister depuis l’Age du Fer. La part des forçages naturels vs anthropiques semble donc variable au cours du temps.Outre la restitution des trajectoires de ces oasis qui permet de réalimenter la question de l’émergence, de l’évolution de l’agriculture et des modalités d’occupation du territoire dans la région au cours des millénaires, cette nouvelle approche géoarchéologique propose un outil d’analyse des sols agricoles anciens en milieu semi-aride à aride, applicable à d’autres contextes.