2005
Cairn
François Gèze, « Armée et nation en Algérie : l'irrémédiable divorce ? », Hérodote, ID : 10670/1.97a91c...
L’Algérie est sans doute l’un des pays du tiers monde ou l’armée (Armée nationale et populaire, ANP) jouit officiellement de la légitimité nationale la plus forte, directement héritée de la lutte de libération nationale ( 1954-1962). Pourtant, dès l’Indépendance, le dogme de l’identité arméenation a été gravement écorné, les chefs de l’armée confisquant par un coup d’État la légitimité politique des « pères de la révolution». Gérant des conflits au sommet récurrents en jouant sur l’équilibre entre officiers « anciens maquisards» et « déserteurs de l’armée française» (DAF), le régime autoritaire du président Boumediene ( 1965-1978) a maintenu l’armée dans une position subordonnée, utilisant les services secrets (la Sécurité militaire, SM) comme principal instrument de son pouvoir. Dans les années 1980, sous la houlette du colonel Larbi Belkheir, une fraction du « clan des DAF» est parvenue à investir les positions clés au sein de l’armée et de la SM, tout en renforçant ses réseaux de corruption et en instrumentalisant la contestation islamiste naissante. Après avoir dû concéder une éphémère ouverture démocratique sous contrôle ( 1989-1991), le clan Belkheir, menacé dans ses intérêts économiques par la victoire électorale du Front islamique du salut (FIS) en décembre 1991, a annulé les élections et déclenché une féroce guerre d’« éradication» de la mouvance islamiste. Elle va durer plus de sept ans, faire des centaines de milliers de victimes et transformer l’ANP, ou du moins une partie de celle-ci, en une armée de guerre civile. Recourant à la manipulation de la violence comme principal mode de gestion de la société, les chefs militaires actuels et leurs alliés civils, très liés à la France, leur principal soutien, sont totalement coupés de la nation. Derrière la façade civile du gouvernement, c’est désormais l’ex-SM (devenue DRS) qui constitue le pouvoir nu, le « parti unique» du pays, une « armée spéciale» qui contrôle l’armée normale pour assurer la pérennité des circuits de corruption gérés par une petite caste de privilégiés.