2024
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Bertrand Valiorgue, « Réparer la rupture métabolique de l’Anthropocène à travers une économie circulaire des excréta humains », HAL-SHS : droit et gestion, ID : 10670/1.9byked
L’alimentation et l’agriculture sont des vieux sujets pour toutes les sociétés humaines. Les questions qu’elles posent semblent en première lecture peu intéressantes et anachroniques au regard de certains défis contemporains comme la conquête spatiale, l’intelligence artificielle, la blockchain, l’énergie, l’allongement de la vie… C’est pourtant l’avenir de notre espèce qui se joue autour de ce que nous mangeons. La production de notre alimentation est directement à l’origine de nombreuses nuisances sur le système Terre qui nous font basculer dans l’ère de l’Anthropocène (Michel, Saleilles & Valiorgue, 2023). Le contenu de nos assiettes participe directement et massivement à l’émission de gaz à effet de serre, à l’extinction des espèces et aux dépassements des limites planétaires (Valiorgue, 2020b; Willett et al., 2019). Cette participation active de l’agriculture et de l’alimentation à la destruction du système Terre tel que les sociétés humaines le connaissent depuis 10 000 ans provient d’une rupture métabolique dans le cycle des nutriments. Les fondements de la crise agricole et alimentaire que nous connaissons aujourd’hui et qui va s’aggraver demain proviennent de cette rupture métabolique. Cette rupture métabolique repose sur un constat simple mais masqué par plusieurs siècles de civilisation : une partie des nutriments prélevés dans les sols pour produire notre nourriture ne retourne pas dans ces sols du fait d’une déconnexion entre les lieux de production de notre nourriture et les lieux de consommation et de déjection. Les sols de la campagne qui produisent notre alimentation s’appauvrissent irrémédiablement car ils ne récupèrent pas les macronutriments contenus dans les excréta humains qui sont rejetés dans les égouts et les stations d’épuration des villes. Dans ces conditions, seul un apport de fertilisants artificiels peut maintenir leur fertilité. Ce bouclage artificiel du cycle des nutriments à travers des engrais de synthèse entraine une débauche énergétique et une émission gigantesque de gaz à effet de serre. Une solution plus logique et beaucoup moins impactante consisterait à boucler ce cycle des nutriments à partir d’une économie circulaire des excréta humains. C’est la thèse que nous soutenons dans ce chapitre. Nous proposons dans un premier temps de revenir sur la notion de rupture métabolique en étudiant ses origines conceptuelles dans les travaux de Karl Marx qui est le premier à avoir mis en évidence l’ampleur du phénomène au sein de son économie politique. Le détour par les travaux de Marx permet par ailleurs de positionner la rupture métabolique dans la dynamique plus large des économies capitalistes qui se généralisent à l’échelle planétaire. Dans un second temps, nous revenons sur les dimensions contemporaines de la rupture métabolique. Nous montrons que cette dernière est désormais globale et qu’elle est directement à l’origine de la grande bascule dans l’Anthropocène. Nous terminons le chapitre en évoquant la nécessité d’une économie circulaire des excréta humains pour boucler le cycle des nutriments de manière naturel et se faisant atténuer l’ampleur des transformations du système Terre auxquelles les sociétés humaines vont être confrontés.