2024
http://creativecommons.org/licenses/by-nc/
Dominique Casajus, « L’anthropologue doit se faire traducteur », HAL SHS (Sciences de l’Homme et de la Société), ID : 10670/1.9cedb1...
Je partirai d’un constat que je ne m’explique pas entièrement mais qui est assez aveuglant pour quiconque a lu L’adieu au voyage, ce livre que Vincent Debaene a consacré au prurit littéraire des anthropologues français de l’Entre-deux-guerres : alors que les Marcel Griaule, Jacques Soustelle et autres Maurice Leenhardt se sont risqués, après avoir dûment publié leur enquête de terrain chez un éditeur académique, à livrer un « deuxième livre » que, avec l’ingénuité qu’ont dans ces matières ceux qui ne savent pas ce qu’écrire veut dire, ils voulaient « littéraire », on ne rencontre rien de tel chez les plus éminents de leurs contemporains britanniques. Cette particularité (un second livre ici, et non là) n’a pas échappé à Vincent Debaene puisqu’il consacre un développement à Malinowski – à un homme qui, certes d’origine polonaise, a fait toute sa carrière en Angleterre. L’auteur des Argonautes du Pacifique occidental, en effet, n’a jamais cru bon d’adjoindre un second livre à ses travaux proprement universitaires : le Journal d’ethnographie que sa veuve a publié en 1967 n’était nullement destiné à la publication. Cependant, je ne crois pas qu’il ait tenu l’exemple de Malinowski comme représentatif d’un cas anglais à mettre globalement en regard du « cas français ». Une telle mise en regard aurait supposé qu’il disposât pour l’Outre-Manche d’études comparables à celle que, par exemple, Wolf Lepenies a menée pour la France dans Les trois cultures. Faute de telles études, je me suis contenté ici d’un simple sondage, où je m’attacherai à deux auteurs qui sont à peu près contemporains de nos Français à second livre : Edward Evan Evans-Pritchard et Godfrey Lienhardt. Puis, pour faire valoir que le cas des Griaule et autres n’est pas totalement représentatif de la situation française, je parlerai de deux auteurs contemporains : il y a des anthropologues français qui n’ont pas eu besoin d’un second livre pour se prouver qu’ils savaient écrire : Marianne Lemaire et Patrick Williams. L’ensemble me donnera l’occasion de proposer quelques réflexions sur ce qu’on peut appeler l’écriture anthropologique.