5 décembre 2017
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Ralph Evêque, « Les transmissions du savoir juridique durant la période impériale romaine (27 avant J.C – 565 après J.C) », HAL-SHS : sciences de l'éducation, ID : 10670/1.9gs4zt
Notre travail de thèse concerne la question des transmissions du savoir juridique durant la période impériale romaine (27 avant J.C – 565 après J.C). Le point de départ de notre réflexion fut de constater la crise que connaît aujourd’hui la transmission des savoirs, en particulier juridique. Cette problématique est effectivement au coeur des préoccupations de la classe politique, des économistes ou encore des pédagogues. Où va l’éducation ? Telle était déjà l’interrogation de Jean Piaget en 1972. Chacun se pose ces questions intemporelles : Quel savoir transmettre ? Doit-on privilégier une culture littéraire, technique, populaire, artistique, scientifique ? Par quels moyens et méthodes ? Doit-on mettre en avant la théorie ou la pratique dans le processus éducatif ? Quelle autonomie et quelles exigences doit-on attendre de l’élève ? Comment éviter l’échec scolaire ? Quelles stratégies mettre en place afin de favoriser la réussite des élèves ? La crise de l’éducation touche bien entendu les études juridiques. Si l’enseignement du droit est aujourd’hui en crise, c’est en grande partie du fait de l’hésitation entre deux conceptions du droit : la conception moderne, subjective et idéaliste et la conception post-moderne, objective et réaliste. Dans la première, la transmission du savoir juridique est orientée du côté de la théorie alors que dans la seconde prime la pratique. Alors que depuis son origine, la faculté de droit accorde, sous l’influence de l’humanisme, une prime à la théorie, un changement s’est opéré depuis le début du XXe siècle. Suite à la révolution industrielle, l’ancienne conception du monde fondée sur la vérité et la culture désintéressée s’efface au profit d’une vision de l’humanité orientée vers le travail et l’efficacité pratique.Dans ce climat de tension autour d’un enseignement contesté, il semble souhaitable de convoquer l’histoire au secours du présent. En effet, pour reprendre Orwell : « (…) qui commande le passé commande l'avenir », ce qui revient à dire que couper le fil du temps qui unit passé et présent, comme ont pu le faire les modernes, nous prive nécessairement de toute expérience faisant de nous des « voyageurs sans bagages ». Il s’agira, pour paraphraser Maurice Tardif, de démontrer que l’ensemble des problématiques que pose l’enseignement actuellement sont des problèmes initiaux qui ne peuvent s’analyser utilement qu’en remontant 2500 ans en arrière pour observer leurs genèses. Si la Mésopotamie nous fournit l’illustration du premier enseignement de l’humanité, Rome fut précurseur en matière de droit. Les civilisations précédant Rome, qu’elles soient orientales ou occidentales, n’ont pas connu d’enseignement du droit véritable mais seulement une transmission passive du savoir juridique.La question de la transmission du droit sera, dans notre travail, envisagée, comme l’intitulé le laisse paraître, à Rome et pour la période impériale. Qu’est-ce à dire ? Nous tenterons de dessiner les réalités des transmissions du savoir juridique pendant l’époque impériale et sur l’ensemble du territoire occupé par Rome, que ce soit en Occident comme en Orient. L’Empire succède à deux grandes périodes : la Monarchie et la République. La Monarchie commence à la fondation de Rome en 753 avant notre ère et s’achève en 509 avant J.C. avec l’exil du dernier roi étrusque Tarquin le Superbe. La République débute en 509 et s’achève en 27 avant J.C. L’Empire romain débute ainsi en -27. La question de son achèvement est plus complexe. En effet, en occident, il est certain que l’Empire romain prend fin officiellement – en droit et non pas dans les faits – en 476 avec la déposition du dernier empereur d’occident Romulus Augustus par le roi barbare Odoacre. En Orient, la domination romaine ne prend fin qu’en 1453. Pourtant – et même s’il y a controverse parmi les romanistes quant à cette question – on peut affirmer qu’on ne peut parler d’Empire romain que jusqu’à la mort de Justinien en 565. Après cette date, on ne parlera plus d’Empire romain d’orient mais d’Empire byzantin. Nous nous bornerons alors à étudier l’enseignement du droit de -27 à 565.Nous rappellerons en guise d’introduction qu’au cours de la période républicaine, le droit se transmettait selon le Ius est ars boni et aequi. En effet, le droit n’était pas encore une technique accaparée par le pouvoir mais relevait de la spéculation. L’élève « se formait sur le tas », suivait son maître au forum et recueillait les réponses qu’il apportait aux plaideurs qui l’interrogeaient. Enseignement et jurisprudence étaient ainsi intimement liés et parce que le droit n’était pas encore constitué en science, l’enseignement passait par la casuistique. C’étaient des cas qui étaient soumis à la sagacité du maître et de ses élèves et les décisions judiciaires qu’il s’agissait de commenter.Sous l’Empire, apparaît un véritable enseignement de la science juridique. Nous nous concentrerons par conséquent sur la période impériale puisqu’elle aura vu la naissance puis le déclin d’un enseignement académique du droit. Dans un premier temps, nous nous concentrerons sur l’enseignement juridique tel qu’il était conçu durant la première partie de l’empire, le Haut-Empire qui se déploie de 27 avant notre ère à 284 après J.C. (I). Cette période au cours de laquelle l’empereur est un princeps se distingue par une apparente proximité avec le système politique républicain. Pendant le temps du Haut- Empire, nous constaterons que la transmission du savoir juridique, laissée toute entière à l’initiative privée, est essentiellement pratique s’effectuant au moyen du respondere docere ou dans le cadre de l’éducation rhétorique (A). Pourtant, à bien examiner la littérature juridique de cette période, en particulier les Institutes de Gaius, nous pouvons soupçonner la présence d’écoles de droit (B). L’Antiquité Tardive (284-565) fait suite au Haut-Empire (II). C’est durant cette période que nous sommes certains de l’apparition d’un véritable enseignement du droit. Plusieurs facteurs concourent à une révolution de la transmission du savoir juridique durant l’Antiquité Tardive. En premier lieu, bien évidemment, l’absolutisme impérial qui conduit à une emprise du pouvoir sur l’enseignement juridique ce qui aura pour conséquence l’avènement d’écoles publiques, instituées par l’autorité impériale, placées sous sa direction et dotées de professeurs de droit, les magistri iuris (A). Les nouvelles écoles de droit de l’Antiquité Tardive dispensent à leurs étudiants un savoir juridique organisé autour d’un plan d’étude et transmis au moyen d’une pédagogie particulière. C’est à décrire ce processus de transmission active du savoir juridique que nous allons nous attacher (B).