2019
Cairn
Manuel Charpy, « L’histoire plastique, entre standards et braconnages », Sociétés & Représentations, ID : 10670/1.9shz5y
« Playmobil, En route, on va chercher l’histoire ! » : l’étrange slogan publicitaire de la marque de figurines en plastique dit toutes les ambiguïtés de son rapport à l’histoire. Depuis sa création, en 1974, à Dietenhofen, la marque prend soin de présenter une histoire apaisée, voire de contourner l’histoire. Il faut dire que Dietenhofen est situé à quelques kilomètres de Nuremberg, à la fois capitale du jouet, au moins depuis le début du xixe siècle, et capitale culturelle du IIIe Reich avant de devenir le lieu du procès. Playmobil joue des figures de guerriers, mais se tient avec soin aux histoires lointaines, dans l’espace comme dans le temps : chevaliers du Moyen Âge, Indiens évoquant Winnetou, cow-boys et soldats Nordistes... Alors, pourquoi la firme, qui a vendu environ 2,5 milliards de figurines, publie-t-elle une charte interdisant d’évoquer avec ces jouets des scènes de guerre, en particulier de la Seconde Guerre mondiale ? C’est qu’en réalité, quasiment tous les week-ends de l’année se tiennent des expositions, le plus souvent dans des gymnases de petites villes en périphérie des métropoles. Les « playmodélistes », ces adultes, en général issus des milieux ouvriers, bricolent ces figurines en thermoplastique pour reconstituer des scènes, le plus souvent historiques, dans des sortes de dioramas. Évidente manière de s’approprier ensemble l’histoire et l’industrie, ces pratiques mettent au défi une entreprise qui ne cesse de poursuivre les « playmodélistes ». Mais à leurs yeux, ils ne font que jouer à l’histoire avec des objets dont ils sont détenteurs car venus de leur enfance.