« Une légitimation paradoxale de la tristesse : entre biologisation de la dépression et injonctions au travail sur soi »

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22 novembre 2018

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Marlène Bouvet, « « Une légitimation paradoxale de la tristesse : entre biologisation de la dépression et injonctions au travail sur soi » », HAL-SHS : sociologie, ID : 10670/1.9ud47v


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Dans le cadre d’une ethnographie au sein d’une clinique « à la pointe » du traitement de la dépression, nous mettrons en évidence un processus de biologisation des émotions (Bernard, 2017), défini comme l’importation dans la thérapie de schèmes puisés au sein des sciences du vivant (Lemerle, 2016). Présenté comme une énigme, l’état dépressif procèderait à la fois d’une tristesse incontrôlable et de symptômes « somatiques » comme l’insomnie ou le déficit d’énergie. La biologisation de la tristesse va donc de pair avec la fourniture d’un « cadre d’intelligibilité » aux patient.e.s. Confrontée à leur impuissance dans la gestion d’une émotion privée, la clinique livre des conférences de vulgarisation « pédagogique et semi-savante » sur les dysfonctionnements repérables au niveau des neurotransmetteurs cérébraux (Lemerle, 2016). Elle explique l’angoisse nocturne par une réaction de panique qui découlerait d’un « système nerveux sympathique » provenant du fond des âges. La dépression étant affaire de dérèglement biologique, sa guérison nécessiterait d’agir « à la racine du mal » : antidépresseurs, sismothérapie et stimulations transcrâniennes concourraient à rétablir « l’élan vital » du patient. Pourtant, la clinique déploie simultanément un arsenal thérapeutique qui, bien loin d’une remise de soi à la fatalité biologique, suppose la mise en jeu d’un « travail sur soi » (Darmon, 2008) : thérapies cognitivo-comportementales, EMDR, groupes d’éducation thérapeutiques... Quelle signification imputer à cette biologisation sélective du mal-être ? Dans les registres argumentatifs des infirmières, pourvoyeuses de care (Molinier, 2010), la biologisation sert d’abord un discours d’indulgence envers l’individu et sa propre faiblesse : invoquer un dérèglement cérébral légitime la dépression d’un individu comme une véritable « maladie », lui octroyant un « statut de malade » (Parsons, 1951). Dans la perspective des psychiatres, la biologisation recouvre plutôt des enjeux de positionnement dans le champ « médico-psychologique » (Castel, 1981) : l’identification d’un dysfonctionnement cérébral permet l’évaluation « scientifique » de l’efficacité des médicaments, mais aussi la disqualification des catégories psychanalytiques rivales comme l’inconscient (Champion, 2009). Nous appréhenderons sociologiquement le processus de biologisation de la tristesse comme une entreprise de socialisation, objectivant le dispositif déployé et les usages dont font l’objet les catégories de cerveau, d’antidépresseurs et de neurotransmetteurs de la part des acteurs. Nous mettrons au jour les luttes de classement entre des catégories d’explication « profanes » (évènements biographiques) et un paradigme biologisant, localisant le mal dans le corps de l’individu. Si le divorce ou la souffrance au travail sont régulièrement mentionnés par les enquêté.e.s, l’intériorisation progressive d’une explication par le corps signe explicitement un processus de biologisation des faits sociaux.

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