6 décembre 2021
Claire Le Renard, « Le prototype défait. Superphénix, des glissements de la promesse technoscientifique aux épreuves de la "démocratie technique" », HAL-SHS : histoire, philosophie et sociologie des sciences et des techniques, ID : 10670/1.9vcaes
La thèse revient sur l’histoire mouvementée du réacteur nucléaire à neutrons rapides Superphénix, engagé en tant que « prototype à l’échelle industrielle ». Depuis les débuts du nucléaire, la technologie du réacteur à neutrons rapides a été liée à un imaginaire sociotechnique « surgénérateur », laissant entrevoir la possibilité de générer du combustible en parallèle de sa consommation. Cette technologie a suscité une abondante littérature engagée dans la controverse, mais peu d’analyses en sciences humaines et sociales. La recherche a été guidée par les questions : Par quelles opérations ce projet a-t-il été stabilisé et déstabilisé ? Comment le pouvoir de déterminer ce projet s’est-il déplacé en vingt ans, des années 1970 aux années 1990 ? L’enquête, sur documents d’archives en complément d’entretiens, porte sur un objet triple : le prototype Superphénix, le projet d’industrialisation de la technologie des réacteurs à neutrons rapides, et le cadre institutionnel des décisions autour du nucléaire.La thèse porte tout autant sur la décision de faire ce prototype, que sur la décision de le défaire. Le régime de l’économie des promesses technoscientifiques permet d’analyser la manière dont les promoteurs du projet ont assemblé les ressources pour son développement, creusant des sentiers de développement scientifiques et technologiques. Les décisions d’engagement ou de désengagement de Superphénix sont analysées de manière symétrique comme lents processus continus, respectivement de stabilisation ou de déstabilisation du projet sur une décennie, suivis d’un moment de décision gouvernementale clôturant ce processus grâce à un couplage avec un autre enjeu de politique publique, en 1976 et en 1997. Entre ces deux processus, objets de la première et troisième partie, le cas de Superphénix permet de saisir un moment de changements institutionnels, discrets et incrémentaux, dans l’encadrement du nucléaire en France. Au fil des années 1990, Superphénix a été constitué en démonstrateur de la « démocratie technique », avec l’ambition de mettre en œuvre transparence et conditionnalité accrue autour du nucléaire.L’analyse s’attache aux jeux de qualifications du « prototype à l'échelle industrielle », une définition laissant place à une grande latitude d'interprétations. L’attention à ce qui est inscrit dans la définition du prototype ouvre une réflexion sur l’innovation par prototypes et démonstrateurs. Son abandon a été mené par glissements de la promesse, constituant Superphénix en « point de passage facultatif ». Le travail nécessaire au désengagement d’une politique d’innovation technologique passe par la déqualification industrielle du prototype et sa requalification en objet épistémique.