72. Sur cent pages de Pierre Elliott Trudeau

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En 1956, sous la direction de Pierre Elliott Trudeau, un groupe d’intellectuels — universitaires, journalistes, syndicalistes — publient aux Éditions Cité libre, du nom de la revue, un ouvrage collectif intitulé La grève de l’amiante, qui analyse le conflit de 1949 sous ses diverses facettes. Trudeau lui-même fournit une longue analyse de l’évolution des idées et des institutions québécoises qui constitue une virulente dénonciation des effets pervers de l’idéologie nationaliste cléricale et réactionnaire, idéologie qui, selon Trudeau, a bloqué l’évolution et la modernisation normales de la société québécoise. André Laurendeau, aussi attaché que Trudeau au progrès du Québec, aussi opposé que lui au régime de Duplessis, mais se refusant à renier son nationalisme personnel ancien, éprouve le besoin de prendre ses distances d’avec Trudeau, dont il dénonce le dogmatisme antinationaliste. Laurendeau reproche à Trudeau son « agressivité », son attitude de « honte » devant l’évolution historique du Québec, sa « rigueur inhumaine ».Trudeau donne une lecture de l’histoire du Québec, Laurendeau en donne une autre. Cet échange contribue à scinder les réformistes politiques québécois en deux clans profondément opposés, presque en frères ennemis : ceux qui voudront réformer la société québécoise en passant par le fédéralisme et en rejetant sans appel toute forme de nationalisme, et ceux qui préféreront utiliser et développer de plus en plus ce que Laurendeau appelle déjà, même de façon ambiguë, l’« État du Québec », quitte à assumer le nationalisme québécois et à s’opposer au gouvernement fédéral. Ce dualisme a des racines anciennes dans la pensée politique québécoise et il rappelle, entre autres, l’affrontement entre Papineau et La Fontaine, au milieu du XIXe siècle. Voir aussi l’ouvrage collectif sous la direction de Pierre Elliott Trudeau, La grève de l’amiante, Montréal, Les Éditions Cité libre, 1956 (ouvrage réédité par les Éditions du Jour).