25 janvier 2025
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Martine Xiberras, « Gilbert DURAND, Livre II SAI, Le régime nocturne », HAL SHS (Sciences de l’Homme et de la Société), ID : 10670/1.a56a8a...
Le Régime NocturneLe passage au régime nocturne s'effectue dans une inversion des figures et du sens des images du régime diurne : «Face aux visages du temps, une autre attitude imaginative» reste possible (SAI, p.219).Il ne s'agit plus de rechercher le combat héroïque, ou la transcendance, par la conquête de «pureté des essences», comme dans le régime diurne, mais tout simplement d'invoquer «la chaude et rassurante intimité de la substance», ou encore d'incorporer «les constantes rythmiques» et cycliques, des oppositions dans un récit dramatique (SAI, p. 220).Les deux régimes diurne et nocturne de l'imagination sont donc bien des régimes d'opposition ou d'inversion des visages du temps : «Au régime héroïque de l'antithèse va succéder le régime plénier de l'euphémisme» (SAI, p. 220). Mais, tandis que le régime diurne est un régime de l'opposition stricte, par antithèse, comme l'attitude héroïque contre les monstres de la mort, le régime nocturne est un régime de l'opposition «douce», qui utilise les procédés de l'euphémisme et de l'antiphrase pour parvenir à l'inversion.Dans le régime nocturne les visages du temps ne sont plus exorcisés, mais transmués par des procédés d'inversion euphémisante : la chute est ralentie en descente, le gouffre est atténué et inversé par l'image du creux et de la coupe.Le principe de ces reversions nocturnes consiste à ajouter symbole sur symbole -par prolifération -, et l'imaginaire peut amorcer une série d'images qui conduit à l'euphémisation. Cette euphémisation est bien indicative d'une ambivalence, à partir de laquelle les attitudes devant le temps et la mort peuvent s'inverser. Le procédé par antiphrase est le moyen de cette réversion. L'antiphrase constitue une véritable conversion qui transfigure le sens et la vocation des images, des êtres et des choses. Exemple dans Le Cid, Chimène dit « va je ne te hais point » Tandis que le régime diurne tente de s'opposer par le combat et les armes à «un Éros nocturne et féminoïde», le régime nocturne cherche à «composer avec les douceurs du temps». «Il renverse comme de l'intérieur la négativité des images de la mort, la chair, la nuit» (SAI, p. 223). Les schèmes du régime nocturne tendent à incurver ou à euphémiser la négativité. Le processus d'euphémisation s'accentue alors jusqu'à aboutir à l'antiphrase par inversion radicale du sens des images du régime diurne. Ainsi, rappelons-nous comment Éros cache ou «traîne» toujours son frère Thanatos avec lui, et comment cet «entraînement» même nous a permis de cerner l'ambivalence fondamentale des symboles 1 . Dans le régime nocturne, la relation s'inverse et c'est «Eros [qui] prête son sourire aux visages de Kronos» (SAI, p. 224). Il permet ainsi d'atténuer, puis d'inverser le côté négatif et destructeur de Kronos, le dieu du temps dévoreur de ses propres enfants. Les procédés de l'euphémisationL'inversion par euphémisation opère par deux procédés, ou selon deux modalités distinctes qui reposent sur les schèmes différents du régime nocturne.-Les premiers procédés du régime nocturne sont ceux de l'euphémisation par la double négation.Ces procédés de la négation double utilisent les schèmes de la descente et du blottissement dans l'intimité pour atténuer l'angoisse des images de la monstruosité. Ils vont permettre de métamorphoser peu à peu Eros sous les traits des grandes déesses mères.-Les seconds procédés d'euphémisation du régime nocturne s'efforcent de chercher «un facteur de constance au sein de la fluidité temporelle» (SAI, p. 224). Ils s'appuient plutôt sur les schèmes du rythme et du cycle. Grâce à ces schèmes, les images et les symboles du retour, ou de la promesse de l'aube peuvent être mises en forme pour répondre plus sereinement à l'angoisse du temps.Ces éléments symboliques permettent alors la mise en récit dramatique de ces séries d'images qui s'opposent jusqu'à l'euphémisation. Ainsi, dans le récit qui synthétise ces éléments opposés, la nuit n'est plus qu'une «nécessaire propédeutique du jour», elle s'inverse d'une image menaçante en une «promesse indubitable de l'aurore» (SAI, p. 224).