Le Sage en Homme de Peu. Remarques sur la construction ancienne d’une “iconographie”

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2021

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Marianne Garin, « Le Sage en Homme de Peu. Remarques sur la construction ancienne d’une “iconographie” », Dialogues d'histoire ancienne, ID : 10670/1.a5j3sz


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Si l’on excepte les Sophistes – contemporains de Socrate, sinon de Platon –, les fragments des Présocratiques aujourd’hui les plus connus ne recèlent que de rares considérations économiques inhérentes à l’organisation matérielle de la société, lesquelles, oblitérées par la physique, la métaphysique et l’éthique naissantes, semblent avoir assez peu occupé ces premiers penseurs de la tradition occidentale. Il est à cet égard intéressant de constater que les études consacrées aujourd’hui aux théories économiques développées par les Anciens se sont assez peu penchées sur les penseurs de la période archaïque. En revanche, le rapport personnel entretenu par ces Présocratiques – en tant qu’individus et en tant que citoyens – avec les biens et la réussite sociale a quant à lui fortement mobilisé l’attention des doxographes, qui, entre biographies et légendes, ont forgé une riche iconographie littéraire d'un sage en homme de peu délaissant ses biens sans un regard pour se consacrer au seul domaine de la connaissance théorique. Une lecture approfondie des fragments A, dédiés au mode de vie des grands penseurs présocratiques, nous permet de dégager deux tendances au moins, l’une sur le plan synchronique, l’autre sur le plan diachronique : (1) d’une part, avant les Sophistes, les Présocratiques sont généralement représentés comme des êtres non seulement indifférents à la richesse, mais, plus encore, lui vouant un mépris explicite, ce au profit d’une exigeante recherche intellectuelle incompatible avec l’acquisition ou la gestion d’un patrimoine ; (2) d’autre part, les Sophistes constituent à cet égard une césure au sein de l’historiographie ancienne, puisqu’outre leur proverbiale âpreté au gain, ils sont parmi les premiers à avoir ostensiblement relié pratique de la philosophie d’un côté – notamment à travers l’enseignement – et rémunération de l’autre, cette dernière imposant alors au cœur du champ de la connaissance la question de l’ascension sociale. Dans le cadre de mon article, je mettrai en lumière, dans un premier temps, les choix de vie représentés, sinon forgés de toutes pièces, par les doxographes anciens, avant, dans un second temps, de m’arrêter brièvement sur la dissonance incarnée, au sein de cet aréopage d’ascètes, par Empédocle d’Agrigente. Mon propos s’articulera en deux parties : (1) une brève première partie qui, se fondant sur les recherches des spécialistes, sera consacrée à la représentation culturelle du pauvre et du mendiant au sein de la littérature archaïque ; (2) une seconde partie, plus approfondie, où, me fondant sur l’analyse des textes, je montrerai (a) comment, dans une tradition intellectuelle subsistant aujourd’hui encore, les penseurs de l’époque furent dépeints comme des sages opposant avoirs et connaissances et (b) de quelle manière cette aura d’ascétisme a pu agir sur la communauté en général et sur les cercles de disciples en particulier. Mon analyse ne tentera donc pas uniquement d’offrir une vue du rapport à l’argent entretenu par les penseurs des viie, vie et ve siècles avant J.-C., mais, aussi et surtout, du rôle joué par le rapport aux biens dans l’élaboration culturelle d’une discipline alors nouvelle : la philosophie.

With the exception of the Sophists—contemporaries of Socrates, if not of Plato—the best-known presocratic fragments today contain only a few economic considerations relating to the concrete societal organization; obliterated by the nascent physics, metaphysics, and ethics, they seem not to have much preoccupied those early thinkers in the western tradition. It is interesting, in this respect, to note that current studies of economic theories developed by the ancients have devoted scant attention to thinkers from the archaic period. On the other hand, the personal connections of the same Presocratics, as both individuals and citizens, with material goods and social success have drawn the full attention of doxographers, who, somewhere between biography and legend, have produced a rich literary iconography of the sage as a humble man, blindly giving away his possessions to devote himself to the sole domain of theoretical knowledge. A close reading of Fragments A, devoted to the way of life of the major Presocratic thinkers, allows one to bring out at least two trends, one synchronic, the other diachronic: (1) on the one hand, before the Sophists, the Presocratics are generally represented as people not simply indifferent to riches, but, to an ever-greater extent, despising it explicitly, considering intellectual research incompatible with the acquisition or management of a patrimony ; (2) on the other hand, the Sophists represent, in this respect, a break within ancient historiography, since beside their proverbial financial rapacity, they are among the first to have explicitly linked the practice of philosophy—especially as regards teaching—and financial remuneration, the latter then placing the question of upward social mobility at the heart of the field of knowledge. In this article, I will first highlight the life choices pictured, if not fictionalized, by ancient doxographers, and then focus briefly on the dissonance represented, within this ascetic Areopagus, by Empedocles of Agrigento. My point will be articulated in two sections: (1) a brief first section which, based on the research by specialists, will be devoted to the cultural representation of the poor man and the beggar in archaic literature; (2) a second part, more detailed, in which, based on the analysis of the texts, I will show (a) how, within an intellectual tradition still existent today, thinkers of the period were portrayed as sages opposing assets and knowledge, and (b) in what manner this aura of asceticism may have influenced the community in general, and circles of disciples in particular. My discussion will thus not simply try to offer views on the relationship of seventh, sixth, and fifth-century BC thinkers, but also, most importantly, on the role played by the relationship to goods in the cultural development of a then-new discipline: philosophy.

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