21 décembre 2023
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Mathilde Mougin, « De l'expérience des corps à la fabrique d’une « science » de l’homme : discours pré-anthropologiques dans la littérature de voyage (1578-1721) », Theses.fr, ID : 10670/1.ace769...
Cette thèse a pour objet l’étude de la représentation du corps et de l’être humain dans un ensemble de récits de voyage de la fin du XVIe siècle et du XVIIe siècle réalisés en Amérique (Jean de Léry, Marc Lescarbot), aux Antilles (Jean-Baptiste Du Tertre), en Orient (Robert Challe, Jean-Baptiste Tavernier, François Bernier), en Afrique (Pierre-Martin de La Martinière, Pidou de Saint-Olon, Froger), ainsi qu’en Europe (Montaigne), complété par un corpus iconographique tiré de la littérature géographique contemporaine (Atlas de Blaeu, recueils de costumes, etc.). Qu’il soit le fruit d’un voyage en Amérique, continent incarnant alors l’exotisme le plus radical (Léry, Lescarbot), ou d’un voyage en Orient (Tavernier, Bernier), dont la plus grande proximité n’annule pas la distance morale, le récit de voyage restitue une expérience du corps inédite en même temps qu’il accorde à l’autre une place privilégiée. L’Amérindien, le Turc, le Moghol, l’Africain sont en effet autant d’avatars d’altérité que le voyageur s’emploie à décrire, en même temps que de potentiels alter ego avec lesquels il établit un contact et une interaction à l’occasion d’un séjour plus ou moins long en terre étrangère. Ainsi, le corps est à la fois un opérateur de décentrement et un centre épistémologique par lequel le voyageur accède à de nouveaux savoirs sur l’homme qu’il met en forme dans son récit aux dimensions pré-anthropologiques, et dont la forme homodiégétique constitue un espace privilégié dans lequel s’élaborent et s’affinent sa méthode ainsi qu’une réflexivité propre à la « science ». En effet, soucieux de décrire fidèlement les populations rencontrées, les voyageurs envisagent tout d’abord l’aspect physique de celles-ci, puis leurs ornements et vêtements pour les inscrire dans leur environnement social, avant de détailler leurs coutumes en matière d’unions, de nourriture, de culte ou encore de justice. En outre, les voyageurs manifestent véritablement le désir de produire une « anthropologie » comprise plus généralement comme une « science » de l’homme, insérant pour cela le matériau ethnographique recensé dans une pensée plus large de l’être humain. Ils proposent alors une taxinomie des « espèces » humaines qui participe à une racialisation progressive de l’altérité, jusqu’alors surtout envisagée à travers le prisme de la tradition de la caractérologie morale des climats.