2013
Cairn
Denis Ramond, « L'ironie de la liberté d'expression », Raisons politiques, ID : 10670/1.ahqcim
Cet article part d’une observation : il existe une relation paradoxale entre la liberté d’expression et les nuisances qu’elle peut susciter. La tradition libérale postule que le tort causé constitue la seule limite légitime que l’on peut donner à la liberté d’expression ; mais demande simultanément aux individus d’accepter certains torts provoqués par cette liberté. Mon objectif est d’interpréter cette tension comme le symptôme d’une ambiguïté intrinsèque à la liberté d’expression – que j’appelle « ironie » de la liberté d’expression. Si nous privons la liberté d’expression de la capacité d’infliger certains torts, cette liberté n’aurait guère de sens, mais il faut neutraliser sa capacité à nuire pour la rendre acceptable. J’étudie deux approches qui ont tenté de résoudre l’équation difficile de la liberté d’expression et du tort, et de distinguer les nuisances acceptables des nuisances inacceptables. La solution utilitariste, qui consiste à quantifier les nuisances, n’offre pas de critère apte à départager des revendications contradictoires de tort. La seconde, proposée par Thomas Scanlon, semblait plus prometteuse : pondérer le pouvoir de l’expression par une présomption d’autonomie du spectateur. Mais Thomas Scanlon, dans un second temps, a rejeté sa propre théorie et réaffirmé le pouvoir de nuire de la liberté d’expression. La prise en compte de l’ironie de la liberté d’expression permet de comprendre la relation complexe que cette liberté entretient avec ses conséquences négatives.