30 mars 2023
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Axel Hohnsbein, « Les Mémoires d'un hanneton, entre vulgarisation scientifique et hallucination poétique », HAL SHS (Sciences de l’Homme et de la Société), ID : 10670/1.b0cf9f...
« Si je n’étais né hanneton, je voudrais naître fourmi » : Les Mémoires d’un hanneton (1868), entre vulgarisation scientifique et hallucination poétiquePublié en 1868, Les Mémoires d’un hanneton du Dr. Ernest Jeanbernat est un ouvrage de vulgarisation scientifique en prose n’ayant eu aucune postérité. Étonnamment long (400 pages in 8°) et souffrant de problèmes majeurs dans sa logique narrative, l’ouvrage se veut la traduction de mémoires rédigés à la première personne par un hanneton. Ce dernier, agonisant, les remet à un entomologiste amateur qui se charge de les traduire en langage humain : l’insecte y décrit les sensations qu’il éprouve lors de ses diverses métamorphoses et se livre à l’étude de quantités d’insectes et petits animaux qui l’entourent. Notre objectif sera double : 1. Nous montrerons que cette œuvre, pour aussi imparfaite qu’elle soit d’un point de vue littéraire, propose quantité de visions poétiques extrêmement frappantes, justifiant à elles seules une étude. L’anthropomorphisme du hanneton rejaillit sur l’ensemble de ses congénères, si bien que les galeries de portraits et les divers tableaux qu’il dresse oscillent souvent entre inquiétante/ravissante étrangeté et violence insoutenable, tandis que le régime métaphorique dévisse irrémédiablement (les pucerons sont les « vaches laitières » des fourmis, telle larve possède un « bec », les insectes « carnivores » sont des « vampires », etc.). Cette brutalité poétique rencontre la précision clinique des descriptions et de la terminologie propre à l’histoire naturelle, tandis que l’anthropomorphisme du hanneton le transforme souvent en moraliste voyeur (ne pas intervenir, se cacher) et cruel (se réjouir de la mort des prédateurs).2. Nous insisterons sur le fait que, du point de vue de l’histoire culturelle, cet ouvrage oublié doit être considéré comme faisant partie d’un tout hétérogène au service d’une poétique spécifique, celle du merveilleux scientifique du XIXe siècle, qui déborde la question littéraire des rapports prose/poésie. Le merveilleux scientifique se construit certes sur des chefs-d’œuvre iconiques (Verne, etc.), mais les mauvais livres, les ratages et les œuvres intermédiaires (fiction vulgarisatrice, presse, imagerie populaire, etc.) sont pour lui un substrat essentiel, dont ces Mémoires sont pleinement représentatifs.