26 juin 2024
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Ariane Goudeau Murphy, « La Dramaturgie mystique de Maurice Maeterlinck et de William Butler Yeats », Theses.fr, ID : 10670/1.b5875d...
Tout en se méfiant du terme « symboliste », Maeterlinck et Yeats reconnaissent appartenir à un même mouvement de l'histoire, désigné par Yeats, reprenant l'image de Mallarmé, comme « tremblement du voile du temple ». Ils ont été la pierre angulaire du théâtre moderne, le premier dans tout l'occident, le second dans le monde anglophone, en empruntant des voies très proches. La similarité persiste au-delà de la période de l'œuvre de Yeats généralement qualifiée de symboliste, ce qui s'explique par le fait que leur recherche dramaturgique est animée par la même ambition : faire du théâtre un temple conçu pour que le spectateur puisse vivre une expérience mystique. Leurs nombreuses innovations dramaturgiques (effacement du cadre spatio-temporel, traitement musical du langage ou sa presque disparition, décor imaginaire, drame statique, abolition du caractère, traitement choral du personnage, format court, etc.) sont autant de solutions trouvées pour provoquer cette expérience particulière.La quête mystique de Maeterlinck et de Yeats est ainsi indissociable de leur recherche dramaturgique. Le lien à la mystique chrétienne est plus évident pour Maeterlinck, plongé dans la traduction et l'analyse du mystique flamand Ruysbroeck au moment de l'écriture de ses grandes majeures. Le mysticisme de Yeats est plus occulte, cependant, les chemins convergent, qui vont du néo-platonisme à Swedenborg et à la pensée indienne, en passant par Boehme, traçant le désir d'une expérience personnelle de l'inconnu, que ni Maeterlinck ni Yeats ne nomment Dieu.Au théâtre, la comparaison à la mystique est particulièrement porteuse puisque c'est la branche de la théologie qui se concentre sur l'expérience, plutôt que sur la compréhension intellectuelle de Dieu. Les solutions et les apories formelles des écrits mystiques permettent d'apporter un nouvel éclairage aux choix dramaturgiques de Maeterlinck et de Yeats, et à leurs revirements au cours de leur carrière théâtrale.Contrairement au théâtre classique qui maintient une certaine distance entre le spectateur et la représentation, leur théâtre mystique vise à immerger le spectateur dans l'expérience dramatique, l'invitant à devenir co-créateur. Plutôt que de représenter de manière réaliste des expériences mystiques ou ésotériques, dont, même si l'illusion parvient à être maintenue, le spectateur ne serait que le témoin extérieur, Maeterlinck et Yeats inventent de nouvelles formes qui plongent le spectateur directement dans la vision. Le théâtre ne parle pas d'expérience mystique, mais il la fait vivre.Rêve et rêverie sont les deux états qui se rapprochent le plus de cette mystique sans dieu. L'immersion dans le rêve, pure vision sensorielle et émotionnelle, est prolongée par une rêverie plus méditative, qui réintroduit la raison au sein du rêve. Cependant, la raison se heurte au caractère indicible, invisible, inconnaissable de l'objet qu'elle tente d'appréhender. Le renouvellement de la parole dramatique est indissociable des réflexions de Maeterlinck et de Yeats sur ce mystère ineffable. Leur théâtre qui se méfie de la langue dans ses usages quotidiens marque pourtant un retour du théâtre poétique entièrement fondé sur le langage, retour dont l'origine est encore ce mystère sans image, qui peut encore moins être montré.Bien qu'il reste sans nom, l'objet du rêve et de la rêverie mystique revêt de multiples visages, symboles transitoires. Son omniprésence transforme radicalement la structure du drame : tout entier tendu vers cet objet fuyant, le drame annule la force de tout acte, l'événement se produisant sans intervention, sans volonté, voire sans logique. Cette préséance de l'objet du drame transforme aussi le personnage : face au mystère, il n'est plus un sujet en action, comme dans la dramaturgie classique. Se fondant dans l'objet, il devient l'image du mystère lui-même que ce soit en tant que véritable personnage mystique, ou en tant que simple vecteur d'une voix autre, qui le traverse.