9 octobre 2022
info:eu-repo/semantics/OpenAccess
Michel Miné, « La jurisprudence France-Télécom fera date », HAL SHS (Sciences de l’Homme et de la Société), ID : 10670/1.b6f7df...
A ses yeux, l'arrêt de la cour d'appel de Paris reconnaissant le harcèlement moral institutionnel à l'oeuvre chez France Télécom est très important. Cette décision constitue selon lui un avertissement adressé aux dirigeants obnubilés par les objectifs financiers au point de négliger les effets de leurs décisions de gestion sur la santé des salariés. Interview. Comment analysez-vous sur le plan juridique l'arrêt de la cour d'appel de Paris reconnaissant le harcèlement moral institutionnel envers les salariés de France Télécom ? Cette décision valide le choix du tribunal correctionnel qui avait décidé de qualifier le harcèlement subi par les salariés de France Télécom de "harcèlement moral institutionnel", le tribunal correctionnel ayant défini certaines caractéristiques de ce harcèlement moral institutionnel. Ce choix est donc validé par une deuxième juridiction, une juridiction plus élevée dans la hiérarchie, et qui plus est il s'agit de la cour d'appel de Paris. La décision est forte et déjà définitive pour ce qui concerne la personne morale France Télécom Cette décision me paraît donc avoir un poids considérable. Au moment où nous échangeons ensemble, nous ignorons encore s'il y aura un pourvoi en cassation de la part des dirigeants (1). Néanmoins, la notion de "harcèlement moral institutionnel" me semble suffisamment stabilisée, et j'insiste sur le fait que la personne morale France Télécom a été condamnée pour ce harcèlement : comme la société-contrairement aux anciens dirigeantsn'avait pas fait appel, cette décision est définitive à son égard. En quoi la motivation de cet arrêt se différencie-t-elle de celle du tribunal correctionnel ? L'arrêt de la cour d'appel me semble d'une rédaction plus classique. Cette rédaction laisse moins de place aux analyses des experts et chercheurs qui explicitaient la situation sociale avec des arguments issus d'autres disciplines que le droit. Il faut dire que la cour d'appel n'avait pas souhaité que puissent à nouveau intervenir des personnalités, comme Christophe Dejours, qui avaient éclairé les débats devant le tribunal correctionnel. Il n'y a pas de contradictions entre les deux décisions Maintenant, je ne vois pas de contradiction entre les deux condamnations. Aussi bien le tribunal correctionnel que la cour d'appel critiquent la financiarisation des entreprises. Le jugement du tribunal correctionnel disait par exemple : "Cette politique a été choisie pour des raisons d'ordre financier, car l'entreprise devait créer de la valeur pour l'actionnaire". La cour d'appel nous dit maintenant que les salariés ont été "sacrifiés aux priorités financières", et que "la crainte des dirigeants de ne pas réaliser ces objectifs principalement financiers a pu les décider à instaurer la politique industrielle de harcèlement moral". C'est une expression très forte. Est-il exagéré de parler d'avertissement ? Il me semble que les juges adressent un signal d'alarme concernant le poids de la financiarisation dans les grandes entreprises. Ils nous disent ici que cette tendance aboutit à ce que des décisions de gestion sont prises et mises en oeuvre d'abord au profit des actionnaires, et que cela peut entraîner une dégradation des conditions de travail-c'est évident dans le cas de France Télécom-mais qui peut aussi nuire au développement socioéconomique de l'entreprise. Autrement dit, non seulement la fin ne justifie pas les moyens, mais la fin doit déterminer les moyens ! Lors de la consultation sur les orientations stratégiques, le CSE pourrait citer cette décision en évoquant les effets sur la santé d'un grand projet ou d'une orientation