2007
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Jean Genet, « Légitimation religieuse et pouvoir dans l’Europe médiévale latine : l’État moderne et les masques de la monarchie sacrée », Publications de l'École Française de Rome (documents), ID : 10670/1.bf946b...
Dans une perspective comparative, l’opposition est complète et structurelle entre la Rome antique et le monde médiéval. À Rome, est sacer ce qui est de l’ordre de la nature : Rome étant une cité et donc une construction sociale fondée sur la domination de la nature, les Dieux romains, par nature sacrés, seuls à pouvoir dominer le sacer, ne peuvent être intégrés à la cité que par l’intermédiaire des prêtres. Pourtant, ceux-ci restent soumis aux magistrats. Certes, le principat et l’empire altèrent cette structure, mais le lien hiérarchique entre sacré et civique n’en demeure pas moins. En revanche, l’Église chrétienne est seule maîtresse du sacré, auquel on accède exclusivement par son ministère : avec la réforme grégorienne et la stricte coupure entre l’ordre des laïcs et l’ordre des clercs, ce monopole est plus manifeste encore. Or, le paradoxe est qu’alors que le legs romain rend le sacre quasiment impossible à Byzance, il se développe en Occident, donnant naissance à la structure légitimante de la monarchie sacrée. Le paradoxe est d’autant plus grand que la théologie romaine refuse tout caractère sacré inhérent au pouvoir impérial et royal, qui doit rester, en tant que laïc et temporel, hiérarchiquement soumis au pouvoir, sacerdotal et spirituel, du pape. L’Église ne s’en prête pas moins au sacre : tout d’abord, elle conserve la maîtrise du double acte du couronnement et de l’onction. Ensuite, cela lui permet de faire barrage à toute tentative des souverains pour se doter d’un caractère sacré qui lui échappe, comme le montre la récupération de la thaumaturgie royale. Enfin, et l’Église et les souverains profitent l’une comme les autres des vertus symboliques du sacre dans leurs relations avec la société politique lorsque celle-ci émerge, ce qui conduit d’ailleurs à introduire dans le sacre, par l’intermédiaire du serment, des éléments contractuels, voire constitutionnels. En dépit de la rhétorique du «comme si» à laquelle Église et monarques trouvent un égal avantage, l’insoluble conflit d’autorité entre le pape et le souverain laïc que manifeste «l’impossible sacralité » du roi occidental ouvre à la société politique le vaste espace où s’enracinera la citoyenneté.