2022
Cairn
Pierre-Jean Renaudie, « Intolérable altérité (I). L’intolérance transcendantale de l’ego selon Husserl », Les Études philosophiques, ID : 10670/1.bymsa1
Si Levinas a souvent affiché son admiration pour le père fondateur de la phénoménologie, le rapport de filiation qui les unit semble s’arrêter au moment précis où l’analyse phénoménologique pénètre sur le terrain de l’intersubjectivité et rencontre la question d’autrui. Comme beaucoup de disciples et lecteurs de Husserl, Levinas a construit son analyse de l’altérité dans le sillage de l’échec auquel conduisait la cinquième des Méditations cartésiennes de Husserl, dans son incapacité flagrante à établir une authentique relation à autrui. Il est pourtant possible de proposer une autre lecture de cette cinquième Méditation et de l’expérience de l’étranger que Husserl s’y attache à interroger et à décrire. Derrière la reconduction de l’altérité à l’ego qui en constitue le sens et en donne la mesure, ce qui se joue dans ces analyses, c’est d’abord l’effort de Husserl pour penser l’irréductibilité de la séparation depuis laquelle s’éprouve la vie en première personne du sujet. L’intolérance indépassable de l’ego, incapable de considérer autrui sans le ramener inévitablement à lui-même pour le constituer comme son double, peut alors prendre un sens positif : il ne s’agit plus du point d’achoppement ultime d’une phénoménologie constitutive en bout de course, incapable de prendre en vue la question de l’altérité, mais plutôt du point de départ d’une pensée originale de la relation à autrui à laquelle, comme le montre l’article de Chiara Pavan dans ce numéro, Levinas donnera toute sa mesure.