2018
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Valérie Gelézeau, « L’archipel des capitales coréennes, des « hypercapitales » aux capitales de l’ombre », HAL SHS (Sciences de l’Homme et de la Société), ID : 10670/1.c0d798...
Ce chapitre introductif de l'ouvrage Sŏrabŏl. Des capitales de la Corée (Sŏrabŏl. About Korean Capital Cities, 2018) aborde la manière dont l'analyse géographique des capitales coréennes permet de reconsidérer la notion européo-centrée de la capitale comme un centre territorial unique et statique lié à la construction des États-nations depuis l'ère moderne. L'existence de nombreuses capitales historiques est un phénomène courant dans de nombreux pays asiatiques et c'était également le cas dans l'Europe pré-moderne. Mais dans la péninsule coréenne, depuis le milieu du XXe siècle, la partition en deux États (la RPDC et la Corée du Sud) et la reconstruction permanente de ce que Valérie Gelézeau appelle la "méta-nation" coréenne ont réactivé la pluralité et la concurrence des capitales coréennes anciennes et actuelles.Conséquence de la division nationale, une forte concurrence entre Séoul et Pyongyang, les deux capitales politiques, a eu d'énormes conséquences matérielles sur l'espace urbain et l'architecture, non seulement dans les principaux espaces publics, mais aussi dans les environnements quotidiens (des transports au logement). La concurrence s'est également concentrée, dans chaque État coréen, sur les anciennes villes historiques qui ont contribué à légitimer les États actuels : Kaesŏng au Nord et Kyŏngju au Sud sont des lieux historiques symboliques d'un État pré-moderne unifié dans des historiographies nationales divergentes. Tout cela a également eu des conséquences importantes sur les politiques patrimoniales et la gestion de la planification dans ces deux capitales historiques.De plus, au-delà de l'analyse de la longue durée, ces capitales coréennes plurielles forment l'épine dorsale des structures territoriales contemporaines. En effet, les concentrations macro-régionales dans les économies contemporaines mondialisées ne sont plus organisées autour de pôles uniques. Elles se développent plutôt dans des régions urbaines polycentriques (de la mégalopole aux corridors urbains) : par exemple, la région multipolaire de la capitale coréenne autour de Séoul, ou la région bipolaire formée par Pyongyang et Namp'o. Valérie Gelézeau soutient ainsi que les capitales de la "méta-nation" coréenne peuvent être considérées comme un archipel de villes, un archipel encore en devenir. Valérie Gelézeau propose ensuite une lecture typologique de cet " archipel ". Tout d'abord, deux types de capitales sont très visibles dans la géo-histoire coréenne. Il s'agit des capitales d'Etat actuelles, Pyongyang et Séoul, des " hyper-capitales " qui concentrent des fonctions majeures (politiques, économiques, culturelles et symboliques) et qui sont connectées au système global. Les capitales historiques (Kaesŏng et Kyŏngju) qui légitiment les États coréens actuels sont également très visibles dans la géo-histoire coréenne, tout en figurant en bonne place dans l'espace touristique mondial en tant que sites classés au patrimoine de l'UNESCO. En plus des capitales visibles, cet archipel de capitales comprend de nombreuses "capitales de l’ombre" : ce sont les capitales historiques d'anciens États coréens qui ont ensuite été marginalisés dans l'histoire sud-coréenne (comme Kongju et Puyŏ) ; ou des méga-projets en construction sur le territoire sud-coréen (Sejong-si ou encore Songdo) ; ou encore les capitales de la diaspora coréenne (de New Seoul à Los Angeles à Alma Aty au Kazhakstan) ; ce sont enfin les capitales imaginées d'une hypothétique future Corée unifiée. Valérie Gelézeau conclut que, tant que la frontière coréenne sera en devenir, la pluralité et la concurrence des capitales se développeront, avec des conséquences importantes sur l'aménagement et les politiques urbaines aux échelles régionale et locale dans les deux Corées.