2021
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Joël July, « "Trenet, une tendance à détraquer la romance" », HAL SHS (Sciences de l’Homme et de la Société), ID : 10670/1.c6461a...
Joël July, décelant chez « Trenet, une tendance à détraquer la romance », replaçantl’oeuvre dans son contexte, constate que Trenet s’inscrit bien dans la « veinepalpitante de la romance » (p.209), attribut du chanteur de charme comme Maurice Chevalier ouTino Rossi. Cependant, après avoir rappelé les différentes acceptions du terme et les caractéristiquesde ce type de chanson, « bluette sentimentale » (p.210) « d’inspiration populaire et naïve » (p.209)destinée à un public féminin, l’auteur se propose d’examiner en quoi Charles Trenet prend sesdistances envers cette dernière, voire la tourne en dérision. En cela le chanteur fait preuve unenouvelle fois de modernité, ou pour le moins d’avant-garde, puisqu’il annonce les années 50 où leterme de romance devient clairement péjoratif. Par une analyse des textes de La Romance de Paris et de Fleur Bleue, l’auteur montre tout d’abord que cesromances ne sont pas forcément à prendre au premier degré. Ainsi de nombreux éléments de LaRomance de Paris vont dans le sens d’une « distanciation » (p.213) par rapport aux clichésd’usage : entre autres les rimes très (trop?) conventionnelles, l’« idéalisation naïve » (p.214) quiaccumule les stéréotypes, les interventions du narrateur hétérodiégétique qui toutes suggèrent lecaractère illusoire de l’histoire racontée… Il en va de même dans Fleur Bleue : le « flottement »(p.215) énonciatif, l’énumération de clichés contribuent à déprécier l’expression « fleur bleue ». Enoutre le lyrisme et le pathétique attendus sont respectivement mis à mal l’un par l’irruption de lafarce avec le « dragon à moustache » et l’« assez grosse dame / pas fleur bleue », l’autre par laréaction finale de l’amant délaissé qui se console rapidement en pensant à ses nouvelles conquêtes àvenir. Le dernier exemple étudié est Tout me sourit : là aussi le narrateur en fait trop, ce qui, ajouté à la musique « très enlevée » (p.218) et à l’allusion grivoise finale apparentent la chanson plus à une«fanfaronnade » (p.218) qu’à une romance. Ensuite l’auteur élargit sa réflexion à des procédés plusgénéraux. Le premier, narratif, consiste à envisager l’évolution la relation amoureuse dans le tempset à présenter une fin dysphorique : c’est le cas dans Pigeon vole, J’ai connu de vous ou Bateaud’amour. Charles Trenet joue aussi très tôt de son âge et présente dans nombre de ses textes lanostalgie d’une romance qui appartient à une époque révolue. Le chanteur dénature aussi laromance en la transformant « soit en un rêve un peu déjanté, soit à une simple montée de sève »(p.220) : il ne s’agit point ici d’amour, mais d’une montée du désir sans rapport avec l’objet désiré.Selon Joël July, la stratégie la plus manifeste consiste à jouer sur les registres et à décrédibiliser lelyrisme en y introduisant des éléments « comiques ou burlesques » (p.221), procédés déjà relevéspar Boris Vian. Ainsi le seul refuge pour Charles Trenet demeure la nostalgie, mais une nostalgieheureuse, en accord avec l’utilisation des rythmes entraînants du jazz. L’article se termine parl’examen des raisons possibles de ce « détraquement insidieux » (p.223) : plusieurs sontenvisageables, mais l’auteur retient surtout le caractère novateur de Charles Trenet qui initie là unmouvement dont nombre d’artistes se réclameront par la suite et l’ homosexualité du chanteur quilui interdit de vivre « le grand amour » (p.224).