La meule à bras rotative d'El Guettar (Tunisie) : de l’extraction à la mise en forme The rotary querns of El Guettar (Tunisia) : from extraction to manufacture Fr En

Résumé Fr En

L’artisanat de fabrication des meules à bras rotatives à EL Guettar (sud -ouest Tunisien) est l’un des rares artisanats traditionnels au Maghreb à n’avoir subi l’impact des modes d’extraction et de fabrications industriels. Les prospections menées dans les carrières de wâd ṭarf-a ont permis de mettre au jour une activité d’extraction de meules révélée par des vestiges archéologiques abondants. Différents types d’extraction de meules ont été identifiés suivant les critères de leurs dimensions et des techniques employées. Nous avons essayé d’évaluer les caractéristiques, reconnues par les artisans, qui ont influencé leur choix de matière première. Nous avons entrepris une réflexion synthétique englobant à la fois l'identification et l'interprétation des choix pétrographiques en relation avec des caractéristiques mécaniques telles que la dureté, la rugosité, etc. La durée de l’activité d’extraction dans la carrière suppose que certaines zones sont exploitées au cours de plusieurs périodes chronologiques différentes allant de l'Antiquité à nos jours. La fabrication et l’utilisation actuelles des meules, nous conduit à nous interroger sur les raisons de la persistance d’une mise en forme non mécanisée. Cette continuité ne peut pas être expliquée seulement par la rentabilité économique, mais aussi par d’autres éléments d’ordre socioculturel. En effet, les différents types d’ateliers sont régis par une organisation précise et par une répartition des tâches selon différents groupes. En outre, les ateliers sont les endroits par excellence de la transmission des techniques, mais aussi de la morale et des valeurs socioculturelles, génératrices des spécificités identitaires du métier. Ces valeurs sont, entre autres, les identifiants de ses membres, la source de leur identité et de leur fierté. Notre réflexion a porté ensuite sur l’organisation spatiale du travail et les modalités de la gestion : des ressources humaines, des matières premières, des outils, des déchets de taille des produits finis au sein des ateliers. Une étude approfondie des déchets de taille, rarement appliquée à l‘étude monilologique, a été adaptée à cette nouvelle problématique. Nous avons détecté les traces associées aux actions de taille, en appliquant des méthodes archéologiques. Par ailleurs, cette approche a permis de retracer l'occupation du site. Ce type d’analyse, mis au point pour l’atelier de taille de meule à El Guettar, peut en effet servir comme un point de départ pour des études postérieures dans différents cadres géographiques ou culturels. Cette méthode est essentielle pour établir un référentiel pour l'interprétation des données archéologiques relatives à l'atelier de taille de meules, un domaine rarement exploré jusqu'à présent. Un regard nouveau a été porté aux techniques de fabrications de meules. Cette analyse ne s'est pas seulement limitée à l'identification des étapes, des séquences et des sous-séquences principales du cycle de taille de la meule, mais elle a également permis de repérer les stigmates techniques. En étudiant ces stigmates, nous avons pu déterminer les différentes stratégies de mise en forme et les outils utilisés, et ainsi d’évaluer l'investissement en effort et en temps que ces stratégies nécessitent. Durant le processus de taille, l'artisan mobilise une habileté multisensorielle, nécessitant une compétence de très haut niveau pour apprécier les surfaces. L'artisan expérimenté évalue son travail avec ses oreilles, ses mains, ses yeux, son nez et même sa langue. Les gestes associés à cette appréciation multisensorielle sont une part intégrante de l'action technique. Les gestes observés attestent la diffusion de pratiques visant à améliorer la précision, à réduire l'effort et à mieux préserver la sécurité. Cette thèse a ainsi appliqué pour la première fois sur les meules d’El Guettar une analyse technologique globale, depuis la carrière jusqu’à l’atelier et a jeté les bases pour des stratégies de sauvegarde de cet artisanat.

The craft of rotary querns at EL Guettar (south-west Tunisia) is one of the few traditional crafts in the Maghreb to have been spared the impact of major industrial extraction and manufacturing methods. Surveys carried out in the wâd ṭarf-a quarries have brought to light a millstone extraction activity revealed by abundant archaeological remains. Different types of millstone extraction were identified according to their dimensions and the techniques applied. We have tried to assess the characteristics, recognised by the craftsmen, that influenced their choice of raw material. We undertook a synthetic study involving both the identification and the interpretation of petrographic choices in relation to mechanical characteristics such as hardness, roughness, toughness, etc. The duration of extraction activity in the quarry implies that certain areas have been exploited over several different chronological periods ranging from Antiquity to the Present Day. The current manufacture and use of millstones lead us to question the reasons for the persistence of non-mechanised workmanship. This continuity cannot be explained solely by economic performance and profitability, but also by other socio-cultural factors. The different types of workshop are governed by a precise organisation and a division of tasks between different groups. In addition, workshops are the best places to pass on techniques, as well as the moral standards and socio-cultural values that give the craft its specific identity. These values are, among other things, the means by which its members identify themselves, the source of their identity and their pride. We then turned our attention to the spatial organisation of the work and the ways in which human resources, raw materials, tools and waste and finished products are managed in the workshops. An in-depth study of waste, rarely applied to monilological studies, was adapted to this new problem. We used archaeological methods to detect the traces associated with manufacture. This approach also enabled us to retrace the occupation of the site. This type of analysis, developed for the millstone workshop at El Guettar, can serve as a starting point for subsequent studies in different geographical or cultural records. This method is essential for establishing a frame of reference for interpreting the archaeological data relating to the millstone workshop, that has been rarely explored until now. A fresh look was given to the techniques employed in the manufacture of millstones. This analysis was not only limited to identifying the main stages, sequences and sub-sequences in the manufacture, but also made it possible to identify the technical traces. By studying these traces, we were able to determine the different shaping strategies and tools used, and thus assess the investment in effort and time that these strategies require. Throughout the knapping process, the craftsman mobilises a multi-sensory skill, requiring a very high level of competence to appreciate the surfaces. The experienced craftsman assesses his work with his ears, hands, eyes, nose and even tongue. The gestures associated with this multisensory appreciation are an integral part of the technical action. The gestures observed attest to the spread of practices aimed at improving precision, reducing effort and better preserving safety. In this thesis, for the first time, a global technological analysis was applied to the El Guettar millstones, from the quarry to the workshop, laying the foundations for strategies to safeguard this craft.