4 décembre 2024
Emmanuelle Lefranc, « Devenir diététicien.ne à l’ère du numérique : comment concilier éthique professionnelle et quête de visibilité sur les réseaux sociaux », HALSHS : archive ouverte en Sciences de l’Homme et de la Société, ID : 10670/1.cbb028...
Cette communication, intitulée "Devenir diététicien.ne à l’ère du numérique : comment concilier éthique professionnelle et quête de visibilité sur les réseaux sociaux", s’inscrit dans le cadre des travaux menés au sein du programme ANR ALIMNUM (ALIMentation et NUMérique). Elle s'intéresse aux tensions auxquelles les étudiants en diététique font face lorsqu’ils envisagent d’intégrer les réseaux sociaux dans leur pratique professionnelle, et interroge les possibilités de concilier éthique professionnelle et performance numérique.L’intervention a exploré comment les jeunes en formation diététique perçoivent les réseaux sociaux comme des outils stratégiques pour valoriser leur profession, informer le grand public et contrer les fausses informations nutritionnelles. Elle s’appuie sur une enquête empirique menée auprès de deux classes de BTS diététique (57 participants en focus groups, 15 entretiens individuels approfondis et 51 réponses à un questionnaire). Cette école a été étudiée comme un cas spécifique, non dans une visée représentative, mais dans l’objectif de soulever des problématiques importantes qui pourront être explorées ultérieurement sur un échantillon plus large d’étudiants ou de professionnels en diététique. Cette étude met en lumière les bénéfices potentiels, mais aussi les défis techniques et éthiques liés à l’usage des réseaux sociaux dans le cadre d’une activité professionnelle.Les résultats montrent que seuls 7 étudiants sur 51 déclarent avoir une activité publique en lien avec la nutrition sur les réseaux sociaux. Cependant, un tiers des participants envisagent de développer ce type d’activité une fois diplômés, et près de la moitié n’exclut pas cette possibilité. Les étudiants perçoivent les réseaux sociaux comme un levier pour accroître leur visibilité et crédibilité, mais également comme un moyen de partager leurs valeurs et d’éclairer les internautes sur les bonnes pratiques nutritionnelles. Toutefois, ils sont confrontés à une profonde dissonance : leur formation leur inculque des principes auxquels ils adhèrent pleinement, comme la dédramatisation de l’alimentation, la valorisation du plaisir alimentaire et la personnalisation des conseils, mais ils constatent que ces approches sont à contre-courant des attentes dominantes sur les réseaux sociaux. Ces derniers privilégient souvent des messages simplifiés, des remèdes miracles et une éthique du labeur incarnée par des figures comme les "fit girls", qui valorisent la discipline et l’effort. Pour ces étudiants, devenir attractifs et crédibles en tant qu’influenceurs santé validés nécessitera de trouver un équilibre entre respect de leurs valeurs professionnelles et adaptation aux codes de ces plateformes, tout en cherchant à promouvoir des messages de santé publique plus nuancés.Les entretiens et focus groups révèlent quatre tensions principales auxquelles les étudiants sont confrontés :Une opposition entre la dédramatisation de l’alimentation promue par leur formation et les attentes de perfectionnisme et d’obsession souvent véhiculées sur les réseaux sociaux.L’exigence d’une exemplarité physique pour être crédible sur les plateformes, qui entre en contradiction avec leur souhait de ne pas réduire la légitimité professionnelle à l’apparence.Une tension entre la normalisation et la transformation spectaculaire, ces derniers aspects étant souvent valorisés sur les réseaux sociaux tandis que leur formation insiste sur une approche équilibrée et réaliste.La difficulté de concilier personnalisation des conseils diététiques et standardisation des messages, cette dernière étant favorisée par les formats numériques pour toucher une large audience.L’exemple d’une diététicienne influenceuse qui obtient un des meilleurs nombre de "followers" sur le réseau social Instagram, a été présenté pour illustrer les stratégies gagnantes sur les réseaux sociaux. Avec plus de 500 000 abonnés sur Instagram et une forte présence sur TikTok et YouTube, elle combine vulgarisation nutritionnelle, esthétique soignée, et diversification des contenus (recettes, sport, lifestyle), tout en adaptant son positionnement au public des réseaux sociaux. Ce début de réussite en termes d’augmentation de l’audience, soutenu par un cabinet de conseil en communication numérique, pose toutefois la question de l’équilibre à trouver entre le respect de l’éthique professionnelle et l’efficacité des stratégies de communication numérique. En effet, le temps passant, le contenu purement diététique semble se faire plus rare, au profit de mises en scène plaisantes (video courtes de l'influenceuse dans des beaux paysages, recettes gourmandes sans information nutritionnelle...) et sans contenu en lien avec des questions de promotion de la santé. En conclusion, cette intervention met en évidence le rôle crucial que pourrait jouer plus efficacement les diététiciens sur les réseaux sociaux en tant que références accessibles et crédibles pour le grand public. Elle souligne le désarroi des étudiants face à la dissonance entre l'éthique de leur profession, les valeurs inculquées durant leur formation, leur approche de la pratique nutritionnelle, et les attentes ainsi que les pratiques dominantes sur les réseaux sociaux. Elle souligne également l’importance de réfléchir à des modèles de communication adaptés, permettant de concilier visibilité et crédibilité tout en préservant les valeurs éthiques de la profession. Enfin, elle invite à envisager des ajustements dans la formation initiale des diététiciens, intégrant des compétences en communication numérique et une analyse critique des réseaux sociaux.