24 mars 2025
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Ariane Vidal Naquet et al., « Deux illustrations du déplacement des frontières contemporaines du constitutionnalisme : le « constitutionnalisme abusif » et le « constitutionnalisme total » », HAL SHS (Sciences de l’Homme et de la Société), ID : 10670/1.cd731a...
Comme le souligne le rapport introductif établi par Massimo Luciani, « On ne découvre les « frontières » que si l'on connaît son point de départ et la position dans laquelle on se trouve ». Pour prolonger la formule, l'on pourrait soutenir que découvrir les frontières invite à délimiter ce qui se trouve dedans et ce qui se trouve dehors. Sans doute peut-on dire que le dedans est le monde connu, le point de départ, et le dehors, le monde plus incertain voire dangereux -Hic sunt dracones pour reprendre la formule de cartographie médiévale.Le « constitutionnalisme abusif » et le « constitutionnalisme total » seront les deux déclinaisons contemporaines du « constitutionnalisme » sur lesquels se concentreront les propos du rapport français. L'on peut y voir une seule et même extrémité du constitutionnalisme et, plus particulièrement la frontière extrême de celui-ci. Le constitutionnalisme total, qui entendrait pousser à l'extrême toute la logique du constitutionnalisme, révélerait un constitutionnalisme abusif, à savoir un excès de constitutionnalisme. Ce sont pourtant deux frontières distinctes du constitutionnalisme contemporain que ces deux formes dessinent. Là où le constitutionnalisme abusif entend mettre en évidence le recours aux valeurs du constitutionnalisme libéral pour en détourner la substance, le constitutionnalisme total défend une extension générale des exigences qu'il porte pour étendre la limitation du pouvoir à tous ceux qui sont susceptibles d'en abuser, pouvoirs publics et personnes privées, pour protéger l'ensemble du vivant et plus seulement l'homme et mobiliser tous les instruments, nationaux et internationaux, de limitation et de contrôle du pouvoir législatif. Le constitutionnalisme abusif révèle un détournement du constitutionnalisme quand le constitutionnalisme total défend une extension de son domaine d'intervention. Dans les deux cas, ces deux concepts entendent décrire une idéologie prescrivant une certaine manière d'organiser le droit, dans sa structure comme dans son contenu.Un minimum de précisions préalables s'impose encore pour situer de manière préliminaire ces deux constitutionnalismes. Le « constitutionnalisme abusif » témoigne de la situation dans laquelle les valeurs défendues par le constitutionnalisme et, plus particulièrement, la défense du respect de la Constitution par le pouvoir politique, sont invoquées de manière détournée au point de dénaturer ses valeurs. Au nom du constitutionnalisme, il s'agit d'en pervertir la logique : invoquer le respect du droit pour faire triompher le politique. Le « constitutionnalisme total », et il faut souligner ici le lien de cette dénomination avec le concept développé dans un autre domaine par Johan Cruijff, désigne la situation dans laquelle les valeurs du constitutionnalisme sont poussées à l'extrême, la limitation du pouvoir par le droit intégrant non seulement le politique mais aussi les puissances privées. Le constitutionnalisme abusif entend dénoncer le détournement du constitutionnalisme, l'usage détourné du droit au profit du pouvoir politique ; celui, total, défendre la limitation par la Constitution du pouvoir, dans toutes ses manifestations et redéployer ainsi les perspectives classiques du constitutionnalisme.La notion de « constitutionnalisme abusif » a été popularisée par David Landau qui y a consacré, avec d'autres, plusieurs de ses travaux. Dans son article inaugural, cette expression désigne l'utilisation de la Constitution, plus exactement des mécanismes de révision constitutionnelle, afin