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Anne Lafont, « Du dessin au musée : comment faire des êtres humains des objets ? », HAL-SHS : histoire, ID : 10670/1.cl9tkf
Cet article se propose de reconstituer le parcours mental et matériel – insécable, puisqu’il se donne à voir sous la forme de dessins – qui a autorisé, facilité et naturalisé le fait de conserver et d’exposer des êtres humains en tant que natures mortes dans les musées, à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle. Ces femmes et ces hommes dont les corps étaient encore tièdes au moment où il fut décidé de les conserver pour les exposer, comme en témoignent les techniques de conservation de leurs organes ou encore la constitution de traces et d’empreintes de leurs corps, avaient déjà été, de leurs vivants, sujets à de nombreuses manipulations curieuses, savantes, artistiques dans les cabinets-laboratoires comme sur les scènes de spectacles exotiques qu’étaient alors nombre de foires. Aussi, il allait de soi que les dépouilles de ces malheureuses et de ces malheureux, aménagées par l’art de l’embaumement, n’iraient pas à leurs familles – réduites à néant par l’arrachement originel de ces cobayes aux localités respectives qui les avaient vu naître (en Afrique, pour beaucoup) – mais qu’elles rejoindraient le sanctuaire patrimonial qui devait servir la connaissance européenne : le musée.