2015
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Renaissance and Reformation ; vol. 38 no. 2 (2015)
©, 2015Canadian Society for Renaissance Studies / Société canadienne d'études de la Renaissance; Pacific Northwest Renaissance Society; Toronto Renaissance and Reformation Colloquium; Victoria University Centre for Renaissance and Reformation Studies
Deanna Smid, « Broken Lutes and Passionate Bodies in A Woman Killed with Kindness », Renaissance and Reformation / Renaissance et Réforme, ID : 10.33137/rr.v38i2.25621
La pièce de Thomas Heywood, A Woman Killed with Kindness (1607), se termine lorsque le personnage principal, Frankford, découvre le luth d’Anne, l’épouse qu’il vient de bannir pour cause d’adultère. Attristé par la vue de cet instrument qu’il associe à son mariage et à Anne elle-même, Frankford exile le luth en compagnie de sa femme. Lorsqu’elle reçoit l’instrument, Anne joue une complainte, puis fait écraser son luth sous les roues d’une diligence, renonçant ainsi à sa musique. Elle meurt peu après. Son corps et sa mémoire sont manifestement liés, de façon intime, au luth : dans le drame, son corps est un instrument de musique dont elle peut jouer, sur lequel autrui peut jouer, et qui peut être détruit. Le luth est une métaphore du corps courante dans la littérature anglaise de l’époque; Heywood utilise cette métaphore tout en la compliquant. En premier lieu, le luth figure l’impossible et paradoxale identité d’Anne : chaste épouse, noble dame et, virtuellement, prostituée. Qui plus est, le luth souligne l’incapacité d’Anne à contrôler son propre corps, surtout ses humeurs. Comme d’autres personnages de la pièce, Anne a perdu la maîtrise de ses passions charnelles, mais en détruisant le luth elle détruit aussi l’emprise de ses passions sur elle-même et sur les autres. Cependant, lorsqu’elle détruit le luth, elle ne renonce pas totalement à la musique, car la musique peut engendrer une forte harmonie sociale. Elle joue plutôt de son propre corps comme d’un instrument de musique, faisant de son suicide davantage une instruction qu’une destruction. Sa mort a une valeur didactique pour ceux qui le regardent (tant de la scène que des gradins du théâtre), assemblés autour de son lit de mort; il laisse entendre que plusieurs méthodes permettent de maîtriser les passions, certaines étant plus mortelles que d’autres. Dans A Woman Killed with Kindness, la musique d’Anne symbolise la peine extraordinaires pour imposér une discipline aux passions sans règle, à la source de tant de conflits dans la pièce.