Dynamique des intuitions sensuelles dans un univers subjectif

Résumé 0

« Je me rappelle encore de cette impression saisissante (toute subjective certes), comme si je quittais des steppes arides et revêches, pour me retrouver soudain dans une sorte de ‘pays promis’ aux richesses luxuriantes, se multipliant à l'infini » (Grothendieck, [1, p. 48-49])Tout animal ne cesse d’actualiser des potentialités, en présentifiant des affordances anticipatrices de ses mouvements. Or, une telle dynamique est démultipliée chez l’être humain en raison de la richesse de son univers mental : la moindre promenade met en jeu une multitude de virtualités reposant sur l'interaction du potentiel mnésique avec les percepts. A tous les niveaux de l'activité mentale, l’« élan représentationnel » (representational momentum) ouvre sur « l'extension des limites » (boundary extension) [2], que ce soit au seuil élémentaire de la perception visuelle ou dans les sphères abstraites de la pensée mathématique, dévoilant à la conscience un espace virtuel d’extension infinie [3], même si nous ne l’appréhendons pleinement qu’en s’affranchissant de la perception pour quelque rêverie ou plongée profonde dans la pensée. Comment une telle « extension de la présence » au-delà de la « fenêtre » de notre conscience, est-elle possible ? Comment décrire cet élan qui peut faire franchir toutes les frontières connues ? Comment rendre compte de la puissance des expériences sous-jacentes aux bouleversements de l’espace subjectif, aussi bien lors d’une rencontre érotique que lors d’une découverte scientifique ? Pour aborder ces questions, en nous appuyant sur des outils développés dans le sillage de la « cognition 4E » ([4]]), nous introduirons la notion d’intuition sensuelle, visant à rendre compte d’expériences à la charnière du réel incarné (embodied) et des espaces imaginaires, via les résonances de la mémoire, qui ouvrent sur des extensions parfois prodigieuses de l’univers mental (insights). Nous montrerons que les bases de la dynamique d’un univers mental peuvent être éclairées dans ce cadre en conférant un sens précis aux notions d’horizon, de direction désirable, de points d‘ancrage (anchors) et d’intuition harmonique. Références[1] A. GROTHENDIECK, Récoltes et semailles – Réflexions et témoignage sur un passé de mathématicien, I, Paris, Gallimard, 1983-1986/2021.[2] A. PLAGNOL, Principes de navigation dans les mondes possibles II, Garches, Terra Cotta, 2023.[3] H. BERGSON, Matière et mémoire, Paris, Presses Universitaires de France, 1896/1985.[4] A. NEWEN, L. DE BRUIN, S. GALLAGHER (éds), The Oxford handbook of 4E cognition, Oxford, Oxford University Press, 2018.