2011
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Sylvie Patron, « Homonymy, Polysemy, and Synonymy : Reflections on the Notion of Voice », HAL-SHS : littérature, ID : 10670/1.cq4b3q
Cet article, qui ressortit à l'histoire et à l'épistémologie des théories littéraires, en l'occurrence des théories du récit, se compose de deux parties. La première est consacrée aux théories " communicationnelles " du récit (cette dénomination est empruntée à S.-Y. Kuroda dans un article de 1975). J'y analyse les relations d'homonymie et de synonymie qui entourent la notion de voix dans les théories de Gérard Genette (1972 et 1983), Seymour Chatman (1978) et Franz Stanzel (1984 [1979]) (je m'intéresse également aux raisons pour lesquelles Lubomír Dolezel n'utilise pas cette notion dans son ouvrage de 1973). Je montre qu'il existe deux notions de voix chez Genette, d'origine et de nature différentes : la voix comme catégorie d'analyse du récit (incluant le temps, la personne et le niveau de la narration, soit des réalités hétérogènes sur le plan linguistique et textuel) et la voix comme synonyme d'énonciation narrative ou de narration (en ce sens, la voix, c'est le narrateur parlant à la première personne ; voir Genette, 2007 [1972], p. 254 : le narrateur " ne peut être dans son récit, comme tout sujet de l'énonciation dans son énoncé, qu'"à la première personne" [...] "). Il s'agit de deux notions n'ayant l'une avec l'autre qu'une relation d'homonymie. Cependant, l'homonymie comporte une part de synonymie dans le cas de la personne, dont la réduction à la première personne résume la thèse communicationnaliste de Genette. Je compare ensuite la ou les notions de voix dans la narratologie genettienne et dans les théories narratives de Chatman (chez qui la voix peut se définir comme le produit de la quête par le lecteur de l'origine du texte et est globalement synonyme de narrateur manifeste [overt] ou caché [covert]) et de Stanzel (qui utilise peu la notion de voix, mais qui la remplace par celles de médiation et implicitement de distorsion narratives, en relation avec sa proposition historique et théorique de tripartition du récit de fiction). La deuxième partie est consacrée à la critique par S.-Y. Kuroda et Ann Banfield des théories communicationnelles du récit dans le cas du récit de fiction. Kuroda est le premier à explorer les fondements linguistiques de la théorie du récit et à mettre en question le statut axiomatique du narrateur dans la narratologie. Il n'utilise pas la notion de voix ; cependant, on peut voir une critique implicite de cette notion dans la critique qu'il propose de l'analyse performative de John R. Ross, selon laquelle toute phrase est dérivée d'une structure profonde comportant un verbe performatif à la première personne. Quant à Banfield, elle démontre l'inadéquation de la "théorie de la double voix" dans le discours indirect libre (les " paroles et pensées représentées " ["represented speech and thought"] dans sa propre terminologie). Pour elle, " [d]ès lors qu'une subjectivité de troisième personne est représentée, il ne peut pas y avoir de voix parlante réalisée dans le texte " (Banfield, 1991, p. 26 ; ma trad.). Il faut bien voir que, chez Banfield, l'auteur, qui est responsable de l'écriture des paroles et des pensées représentées, n'est pas considéré comme une voix parlante. En conclusion, je m'interroge sur la possibilité de conserver la notion de voix dans une théorie narrative qui se veut scientifique ou du moins rigoureuse, la chasse à l'homonymie constituant, selon moi, le premier réquisit de la logique, voire d'une certaine éthique du langage scientifique.