Alchimie de la Gravité, Chute des Corps et Devenir-Ange chez Leonard Cohen: pour une poétique du grave et de l'apesanteur

Résumé Fr

Par son timbre grave, par la mission inscrite dans son nom et par sa très obstinée mélancolie, Leonard Cohen est triplement orienté vers le grave et la gravité : généalogiquement, psychologiquement et physiologiquement. De cette disposition multiple, l’artiste tire une poétique de la gravité qui fait de son œuvre une œuvre éminemment spirituelle. Nous tâcherons de dessiner les contours de cette poétique du grave en abordant successivement chez Leonard Cohen : 1. La gravité comme thème – l’œuvre est prise entre une obsession de la chute des corps et une patiente et perpétuelle traque des anges. 2. La gravité comme modalité d’élévation de la voix – Cohen explore sans relâche les plaisirs (parfois subversifs) des usages solennels du Verbe, quelque part entre poésie existentialiste, mysticisme zen, prophétie apocalyptique et recyclage rock de la figure juive du grand-prêtre. 3. La gravité comme phénomène physique et sensuel – le Verbe cohénien étant (sur des mélodies à fort coefficient d’apesanteur – fragiles valses flamenco ou électro-pop très élastique)– porté par une voix en devenir qui, à chaque décennie, semble descendre une octave plus bas vers un grave toujours plus érotique : gravité de poète, gravité de prophète, de crooner et de mâle. A chaque niveau d’analyse, nous verrons que l’artiste met toujours le grave en rapport dialectique avec le léger, de sorte que thématiquement, tonalement et musicalement, Cohen met en place de subtils équilibres entre l’ironie et la solennité, le tellurique, le charnel et l’éthéré, la chute des corps et la poursuite des anges. Son objectif : nous apprendre (par l’exemple) à jouer avec les lois de la gravité et nous permettre de localiser en nous un centre de gravité où nous pourrons nous réconcilier avec la joie d’avoir un poids et apprécier le plus grave de l’existence comme le lieu où la légèreté s’impose. Nous verrons au passage comment Cohen devient un visionnaire de la gravité, qui voit les chutes invisibles sous la surface de nos vies et les anges tomber du ciel. Nous verrons aussi comment un demi-siècle d’études mystiques, de fréquentation d’anges, d’assise silencieuse et de nuits passées à l’hôtel ont changé un troubadour qui rêve d’être un oiseau sur un fil en maître zen puis en vieil archange. Il a beau poursuivre le grave, Leonard Cohen n’en est pas moins pris dans un devenir-ange.