2023
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Bruno Quélennec, « Penser l’antisémitisme post-Auschwitz avec la ‘première’ Théorie critique. Réceptions, apports, limites », HAL SHS (Sciences de l’Homme et de la Société), ID : 10670/1.df148b...
IntroductionLes recherches sociologiques contemporaines germanophones sur l’antisémitisme doivent énormément à la « première » Théorie critique. On peut même dire avec l’historien et sociologue de l’antisémitisme Werner Bergmann que l’ampleur et l’ambition des travaux de l’Institut de recherche sociale (IfS) en exil, qui mêlaient réflexions théoriques et recherches empiriques interdisciplinaires, n’ont jamais trouvé d’équivalent dans l’histoire de la sociologie de l’antisémitisme, même au sein du pourtant très actif Zentrum für Antisemitismusforschung (ZfA) de Berlin. Il y a ainsi peu de découvertes sur l’antisémitisme dont on ne peut retracer l’origine dans l’un ou l’autre des textes des représentants de la Théorie critique. D’une certaine manière, la recherche sociologique sur l’antisémitisme marche encore aujourd’hui dans les pas de l’Institut, même s’il existe depuis les années 1980 des adaptations et corrections, mais aussi des tentatives d’autonomisation à l’égard de cette école.Le présent article pose certes la question de l’« actualité » de la Théorie critique de l’antisémitisme, mais sans chercher à spéculer sur ce qu’Adorno et Horkheimer auraient pu dire sur les débats récents, comme le font certains intellectuels du débat public germanophone en prenant des positions dont on peut légitimement douter qu’elles auraient trouvé l’assentiment de leurs maîtres à penser. L’objectif de cet article est beaucoup plus modeste. Nous proposons de faire un pas de côté et de voir ce que les chercheurs germanophones travaillant sur l’antisémitisme contemporain font aujourd’hui avec la Théorie critique, comment ils se l’approprient, la prolongent et en identifient certaines limites. On se penchera ici particulièrement sur les analyses portant sur l’antisémitisme « non pas malgré, mais à cause d’Auschwitz » qu’on appelle aussi « antisémitisme secondaire ».Après un passage en revue des différents types de réception de la Théorie critique de l’antisémitisme dans l’après-guerre (I), on prendra donc comme cas d’étude la façon dont les concepts d’« antisémitisme secondaire » (sekundärer Antisemitismus) et/ou d’« antisémitisme du rejet de la culpabilité » (Schuldabwehr-Antisemitismus) issus des travaux de l’Institut et contestés depuis les années 1980 (II) sont aujourd’hui réinvestis (et critiqués) dans la recherche sociologique contemporaine (III).