Le langage inclusif : une menace pour la liberté d’expression ?

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11 juin 2023

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Ann Coady, « Le langage inclusif : une menace pour la liberté d’expression ? », HAL-SHS : études de genres, ID : 10670/1.di936k


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Article entier:Le langage inclusif est bien plus que le simple point médian (émployé·es). Ce sont toutes les pratiques langagières qui visent à éviter l’utilisation du masculin générique, notamment le déboublement (Françaises, Français), les noms épicènes (la population étudiante), ou encore le pronom neutre iel.Pour certaines personnes, le langage inclusif leur donne la liberté de s’exprimer dans un langage qui reflète leurs valeurs et leur vision du monde, de se définir (femme, homme, non-binaire), et d’être libres des contraintes imposées par les règles de grammaire traditionnelle. De ce point de vue, le langage inclusif est libérateur. Il attire l’attention sur certains mots et structures grammaticales, en nous poussant à réfléchir à la façon dont une partie de la population est représentée (ou plutôt non représentée) dans notre langue, et dans notre société.Pour d’autres, en revanche, le langage inclusif est perçu comme une restriction de leur liberté d’expression. Certaines personnes considèrent que le langage inclusif a transformé le français en un champ de mines et accusent celles et ceux qui l’utilisent d’instrumentaliser la langue à des fins politiques et d’introduire subrepticement dans le vocabulaire et la grammaire des connotations qui n’existaient pas auparavant. De leur point de vue, c’est cette « instrumentalisation politique » du langage qui est réellement le cœur du problème.Or, ce point de vue sous-entend que l’état « naturel » du langage est neutre, libre de toute valeur ou idéologie. Mais cette idée est un mythe. Le langage est en effet intrinsèquement social et n’existe pas dans un vide socioculturel hors de tout contexte historique. Il a de tous temps été instrumentalisé à des fins politiques : nier le droit de vote aux femmes en utilisant l’argument que le masculin ne comprenait pas le féminin dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen n’était-il pas politique ? Obliger les femmes à choisir entre Madame et Mademoiselle quand il n’y qu’un seul choix pour les hommes était-il dépourvu de toute idéologie sexiste ?En réalité, le langage inclusif dérange donc l’ordre établi en remettant en question la neutralité perçue du langage. Mais représente-t-il pour autant une « menace » pour la liberté d’expression ?Dans les médias cette idée de « menace » est omniprésente. Or, en réalité, il s’agit bien souvent d’exagération, pour ne pas dire d’informations factuellement fausses. Dans un rapport d’une commission mixte paritaire du Parlement britannique publié en 2019, les membres de la commission ont conclu que l’image dans les médias d’une crise généralisée de la liberté d’expression dans les universités britanniques était « clairement en décalage par rapport à la réalité ». En France, on peut citer, parmi beaucoup d’exemples, la fausse information, promulguée par certains personnages politiques en 2021, selon laquelle Sciences Po pénalisait celles et ceux qui n’utilisaient pas l’écriture inclusive. France Info a vérifié cette accusation et Science Po l’a fermement démenti, mais c’était trop tard, la rumeur s’était déjà propagée.En revanche, on peut citer de nombreux efforts pour censurer l’écriture inclusive : depuis 2020, il y a eu plusieurs propositions de loi visant à l’interdire dans la fonction publique. Il y a encore tout juste quelques semaines le tribunal administratif de Grenoble a annulé les statuts du service des langues de l'Université de Grenoble Alpes parce qu'ils étaient rédigés en écriture inclusive. Ces exemples suggèrent que c’est plutôt la liberté d’employer le langage inclusif qui serait menacée.Si le langage inclusif menace quelque chose, ce n’est pas notre liberté d’expression, mais bien la liberté de continuer à croire au mythe d’un langage neutre et apolitique.

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