19 septembre 2023
Aude Le Gallou, « Des paysages de l'abandon aux expériences touristiques : une évolution des imaginaires et des pratiques des ruines contemporaines », HAL-SHS : géographie, ID : 10670/1.dlctde
Au cours des quinze dernières années, les paysages de l'abandon ont proliféré dans la culture visuelle quotidienne. Ce phénomène est dû au développement d'une esthétique des ruines contemporaines dans les médias et les galeries d'art, ainsi qu'à la popularisation de la pratique de l'exploration urbaine. Cette visibilité croissante de l'abandon révèle et favorise de profondes transformations dans la manière dont les ruines contemporaines sont perçues, pratiquées et valorisées dans les sociétés occidentales.Cette présentation vise à analyser cette évolution des représentations et des pratiques spatiales à travers le prisme du tourisme de l'abandon, c'est-à-dire de l'exploration commerciale d'espaces abandonnés organisée par des entreprises privées. Que révèle cette forme de tourisme des changements actuels dans les appropriations matérielles et symboliques des paysages de l'abandon ?Cette présentation s'appuie sur les résultats d'une thèse de doctorat en géographie consacrée aux appropriations touristiques des lieux abandonnés. Ce travail est fondé sur une analyse croisée des cas de Berlin (Allemagne) et de Détroit (États-Unis). Il s'appuie sur l'articulation de plusieurs méthodes qualitatives : revue de littérature approfondie, observation participante, entretiens formels et informels avec différents types d'acteurs (participants, organisateurs, acteurs institutionnels, habitants), analyse de matériau numérique.Nous présentons d'abord trois facteurs principaux qui expliquent l'évolution des imaginaires collectifs et des valeurs associés aux paysages de l'abandon. La large diffusion d'un corpus photographique consacré aux ruines contemporaines augmente leur valeur esthétique ; la popularisation de l'exploration urbaine leur confère une valeur expérientielle ; et la promotion d'un imaginaire de front pionnier fait de l'exploration des sites abandonnés une activité socialement distinctive et dote donc ces lieux d'une valeur sociale. Ces trois éléments contribuent à redéfinir les espaces abandonnés, auparavant considérés comme peu attrayants, et à les rendre désirables.Nous montrons ensuite que cette évolution des imaginaires favorise le développement de nouveaux usages des espaces abandonnés. En se concentrant sur le tourisme de l'abandon, cette présentation propose une définition géographique de ces pratiques. Elle insiste notamment sur la dimension corporelle et émotionnelle du rapport à l'espace propre à cette forme de tourisme. Dans cette section, nous montrons également que le tourisme de l'abandon incarne une convergence entre des pratiques subversives telles que l'exploration urbaine, d'une part, et le tourisme urbain hors des sentiers battus, d'autre part.Enfin, cet article analyse de manière critique les conséquences de ces pratiques sur les espaces abandonnés. Il suggère que le tourisme de l'abandon peut être considéré comme un moyen de neutraliser les formes subversives d'expérience et d'utilisation de l'espace développées dans les ruines contemporaines et de les adapter aux normes dominantes de production de l'espace. Le cas du tourisme de l'abandon montre en définitive que les paysages de l'abandon, initialement perçus comme répulsifs, sont de plus en plus considérés comme des ressources exploitables par des modes de production de l'espace urbain soumis aux logiques de marché.