2022
Marc Guerrini, « Le contentieux constitutionnel des dispositions législatives interprétées à la lumière des engagements internationaux de la France », HAL-SHS : droit et gestion, ID : 10670/1.e16h9k
Les rapports entre le contrôle de constitutionnalité et le contrôle de conventionnalité ont occupé une large place dans les réflexions accompagnant la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008. Dans un champ où l’harmonie et la complémentarité étaient encore fréquemment évoquées, la concurrence entre ces contrôles s’immisçait sur la scène politique, juridictionnelle et doctrinale. Comment préserver la suprématie effective de notre norme fondamentale face à l’influence grandissante des conventions internationales ? Le caractère prioritaire de la nouvelle question préjudicielle de constitutionnalité semblait constituer un remède imparfait mais partiellement satisfaisant. Pourtant, ces dernières années, d’autres difficultés se sont présentées et sont venues à la fois nourrir mais aussi largement complexifier cette problématique. Ces difficultés se logent dans des interstices, s’arrimant à des aspérités contentieuses dont peu d’observateurs avaient perçu les potentialités concurrentielles. En effet, si le contrôle de conventionnalité était tenu partiellement à l’écart de son équivalent constitutionnel sous l’effet de la priorisation procédurale des contrôles, le contentieux constitutionnel des dispositions législatives n’allait pas tarder à le voir resurgir par une petite porte qui a pourtant tout d’une grande : celle de l’interprétation juridictionnelle.En effet, depuis 2010, le Conseil constitutionnel estime « qu'en posant une question prioritaire de constitutionnalité, tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à cette disposition » (CC, Décision n° 2010-39 QPC du 6 octobre 2010, Mmes Isabelle D. et Isabelle B., Adoption au sein d'un couple non marié). Des interférences entre les exigences constitutionnelles et conventionnelles peuvent ainsi se produire dans différentes situations. Premièrement, le Conseil constitutionnel peut être saisi d’une disposition législative interprétée de manière constante conformément à une convention internationale, il lui appartiendra alors de déterminer dans quelle mesure il entend prendre en compte cette interprétation. Deuxièmement, une question prioritaire de constitutionnalité peut être soulevée afin de contester spécifiquement une interprétation jurisprudentielle constante qui se trouve être une interprétation conforme à des règles de droit international ou européen. Enfin, il existe une dernière hypothèse, plus singulière, qui est celle de la « surtransposition » d’une directive européenne. Dans ce dernier cas, le législateur lui-même a décidé d’étendre la portée d'une directive européenne à des situations de droit interne qui n'étaient pas, en principe, soumises à l'application du droit de l'Union et qui se situent en dehors du champ de la directive. Dans ce cas de figure, le juge va être conduit à privilégier une interprétation conforme au droit européen dans la mesure où il peut difficilement interpréter une loi à la lumière de la directive qu'elle a pour objet de transposer pour les situations soumises au droit de l'Union et l'interpréter d'une manière différente pour les situations qui ne le sont pas.Cet article propose une lecture critique des solutions qui ont été établies par le Conseil constitutionnel dès lors qu'il est saisi de dispositions législatives faisant l'objet d'une interprétation conforme à une convention internationale. Il semble principalement que le juge constitutionnel français fasse preuve d'incohérence dans son appréciation des rapports entre la loi et son interprétation afin de maintenir l'illusion de l'imperméabilité des contrôles de constitutionnalité et de conventionnalité. Or, le droit comparé permet de mettre en lumière des solutions nuancées permettant de tenir compte plus fidèlement des interactions grandissantes que l'on observe entre ces contrôles et entre les différents catalogues de droits fondamentaux.