2004
Cairn
Michèle Gendreau-Massaloux, « Les langues, ni anges, ni démons », Hermès, La Revue, ID : 10670/1.f2m771
Avec le réveil d’une conscience de la richesse que chaque culture apporte au monde, le danger de la possible disparition des langues est apparu et a suscité de nombreux plaidoyers et de nouvelles orientations de recherche. Pourtant, la mort des langues à faible diffusion n’est pas liée à l’extension des grandes langues de communication. L’évolution des langues peut s’analyser selon les politiques des États mais elle dépend surtout de choix individuels qui expriment d’abord des liens communautaires : les langues locales manifestent la volonté qu’ont des individus de se situer dans une relation à leurs ancêtres et à des groupes liés par des solidarités affectives et culturelles, faute d’avoir accès au pouvoir politique. Les choix individuels répondent ensuite au besoin de participer à la vie publique et/ou à la vie internationale, au développement durable. Ils reflètent, enfin, le désir de jouer avec une variété infinie de combinaisons de sens, de sons, et de formes qui fait de chaque langue un trésor qu’on ne saurait apprécier en termes strictement économiques. Principe d’utilité et principe de plaisir sont donc à l’œuvre pour s’opposer durablement à la puissante capacité réductrice des hégémonies linguistiques. Ils devraient être également pris en compte par une politique de la diversité linguistique qui, tout en reconnaissant la variété des valeurs que porte toute langue, ne considérerait pas les évolutions en cours comme nécessairement réductrices, et n’attribuerait pas non plus des avantages exorbitants au fait de parler uniquement le français ou l’anglais. Ni anges, ni démons, les langues en ressortiraient plus fortes de leur mise en perspective historique et politique.