2024
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Eva Cornut, « Le défi de la présence et de la matérialité dans la poésie érotique du XVIIIe siècle », DUMAS - Dépôt Universitaire de Mémoires Après Soutenance, ID : 10670/1.f4627e...
La poésie du XVIIIème siècle a longtemps fait l’objet d’un constat d’échec poétique partagé par une grande partie de la critique académique. Ce constat concourt à occulter l’une des productions poétiques les plus conséquentes de l’histoire de France qui annonce par ailleurs l’avènement du lyrisme romantique. Même si les romantiques ont longtemps nié cet héritage, la poésie du XVIIIème siècle, a fortiori la poésie érotique, se fait le lieu privilégié de la poésie lyrique à venir. En effet, il s’agit de poèmes qui semblent s’émanciper de la rigueur poéticienne et rhétorique, qui définissait la poésie jusqu’alors, pour se tourner davantage vers la sensation et le sentiment. Ce mémoire s’est ainsi attaché à l’étude de minores qui témoignent d’une poésie en mutation : L’Art d’aimer de Gentil-Bernard, Les Baisers de Dorat et une sélection de poèmes tirés de l’Anthologie de la poésie française du XVIIIème siècle établie par Michel Delon. Appuyé sur les travaux de Stéphanie Loubère, Ernest Cassirer, Giorgio Agamben, Henri Meschonnic, Jackie Pigeaud, Jean Starobinski, ce mémoire se présente comme une étude philosophique, phénoménologique et sémiotique de ce corpus encore assez méconnu. Héritière du sensualisme condillacien, cette poésie constitue un corpus singulier où - bien que la sensation occupe une place privilégiée - la présence semble s’esquisser. La présence est toujours à conquérir, quelque chose de la fuite et du dessaisissement semble à l’œuvre dans ces poèmes où l’être aimé ne s’embrasse que du bout des lèvres. Ce corpus semble ainsi faire un pas de côté par rapport à la veine libertine, puisque la présence est fuyante et empreinte de matérialité et non pas éclatante et visuelle. Ce curieux paradoxe ne manque pas d’interroger et laisse entrevoir une absence qui affleure dans ces poèmes et qui tend à aiguiser le désir. Puisque la présence de l’être aimé n’est pas éclatante, sa conquête augmente le désir, la présence exulte tout en s’incarnant à peine et se maintient ainsi dans un équilibre que nous avons choisi d’appeler mélancolique. Cet équilibre illustre ainsi la porosité qu’entretiennent la présence et l’absence dans la poésie érotique du XVIIIème siècle, où l’une n’est que le rappel de l’autre. Plutôt que de proposer une troisième voie conciliante entre absence et présence, ce corpus semble abolir une telle binarité car la portée mélancolique et didactique des textes met toujours l’absence en présence.