23 avril 2025
Christophe Denis, « Vers une co-construction harmonieuse du sens entre langage humain et machinique au sein de la fabrique sémiotique hybride », HAL SHS (Sciences de l’Homme et de la Société), ID : 10670/1.f87e44...
Cet article propose une nouvelle approche épistémologique pour caractériser l'interaction entre humains et dispositifs technologiques langagiers à partir du concept de fabrique sémiotique hybride. Il s'agit de montrer que les modèles de langage probabilistes ne produisent ni un sens en soi, ni un non-sens, mais ouvrent des espaces interprétatifs distribués entre humains, artefacts techniques et milieux symboliques. En mobilisant les travaux de Bruno Latour, Charles Sanders Peirce et André Leroi-Gourhan, l'article défend l'idée que les « hallucinations » des agents conversationnels ne doivent pas être neutralisées mais comprises comme des occasions de co-construction du sens. Une telle perspective implique que l'éthique ne peut se réduire à une conformité technique. Ce cadre invite à repenser la régulation, non comme un formatage des réponses, mais comme la condition d'une co-construction harmonieuse du sens. Cadrage méthodologiqueCe travail s'inscrit dans une posture à la fois philosophique et anthropologique qui assume de partir des artefacts techniques eux-mêmes plutôt que d'appliquer des concepts a priori provenant d'écoles de pensée. Notre méthodologie consiste à interroger les dispositifs technologiques langagiers à partir de leurs effets concrets sur les régimes de sens et de savoir. Le lecteur pourrait s'étonner qu'un tel article s'attarde sur certains aspects techniques des agents conversationnels au-delà des fameuses « boîtes noires ». Pourtant, si l'on souhaite que la question du sens et de la régulation du langage machinique ne manque pas sa cible, elle doit nécessairement s'ancrer dans la réalité technologique même de ces dispositifs. À la manière de ce que proposaient Bruno Latour et Steve Woolgar dans La vie de laboratoire [1], notre démarche ne consiste pas à appliquer un cadre épistémologique préexistant aux systèmes d'intelligence artificielle. Nous ne partons ni d'une définition du langage ni d'une anthropologie de la communication. Que l'on ne s'y trompe pas, il ne s'agit nullement de remettre en cause la validité ou la fécondité historique des sciences modernes, ni de disqualifier les cadres normatifs qui les ont portées. Mais à la suite de Bruno Latour, nous sommes convaincus que la Constitution Moderne, qui séparent rigoureusement nature et culture, faits et valeurs, humains et non-humains, atteint aujourd'hui ses limites explicatives. Elle ne permet pas de prendre en compte les reconfigurations profondes induites par les dispositifs technologiques numériques. C'est précisément en prenant acte de ces limites que nous adoptons une méthode inversée : non plus projeter des concepts sur ces technologies, mais interroger, à partir de leur matérialité et de leurs effets, ce qu'elles recomposent dans les formes du savoir et dans les conditions d'émergence d'un sens.Mettons toutefois d'emblée cartes sur table avec le lecteur : ce cadre méthodologique ne prétend pas à une quelconque neutralité. Elle repose elle aussi sur des hypothèses métaphysiques.1. En anglais, Large Language Models (LLM).