Controverses: Faut-il changer les modes de nomination des membres du Conseil constitutionnel ? Termes et enjeux du débat

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23 juin 2022

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Véronique Champeil-Desplats et al., « Controverses: Faut-il changer les modes de nomination des membres du Conseil constitutionnel ? Termes et enjeux du débat », HAL-SHS : droit et gestion, ID : 10.3917/rfdc.131.0531


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La question revient maintenant régulièrement tous les trois ans : faut-il changer le mode de nomination des membres du Conseil constitutionnel ? Celui-ci reste-t‑il adapté aux évolutions internes de l’institution, tout particulièrement, celles allant vers sa plus forte juridictionnalisation ? Est-il en phase avec les élans de ces vingt dernières années vers la transparence des institutions publiques ?Afin de comprendre pourquoi aujourd’hui ces questions se posent, un petit retour sur l’histoire de l’institution s’impose. Rappelons-le : le Conseil constitutionnel n’a pas été créé pour devenir une juridiction, ni a fortiori une Cour suprême. En 1958, celui-ci présentait tout d’un organe de type politique pensé pour jouer un rôle subalterne et dont la principale mission était de soutenir le renforcement opéré de la rationalisation du parlementarisme. Pour ce faire, le Conseil a notamment reçu compétence pour assurer le respect de la nouvelle répartition entre le domaine de la loi et celui du règlement ou pour veiller à ce que les assemblées parlementaires n’adoptent pas de règlement intérieur et de lois organiques contraires à la constitution. Dans ce contexte, que les nominations soient confiées discrétionnairement aux hautes autorités politiques que sont le président de l’Assemblée nationale, le président du Sénat et le président de la République et que ces derniers se tournent vers des proches qui ont leur confiance est sans doute, avec le recul, regrettable mais n’est pas, sur le moment, incohérent. Pendant longtemps d’ailleurs, ce mode de nomination n’a pas beaucoup ému. Ou alors, les interrogations dont il pouvait faire l’objet étaient noyées dans une critique plus générale de l’institution, portant sur sa tendance à jouer le chien de garde du pouvoir exécutif.3Le débat sur les nominations émerge progressivement à la fin des années 1990. Il résulte, selon nous, de l’effet conjugué de divers facteurs d’inégales portées.4Il y a tout d’abord, c’est le plus délicat à évoquer, des questions de personne. De ce point de vue, la mise en examen de Roland Dumas, alors Président du Conseil constitutionnel, marque un tournant. Elle a favorisé un coup de projecteur médiatique sur les nominations. Les parcours professionnels et politiques des personnes pressenties ne manquent plus d’être rappelés, accompagnés parfois de commentaires plus ou moins affables : trop politique, proche de l’Élysée, ami d’un des Présidents d’assemblée parlementaire, pas assez juriste, trop âgé…Car les questions de personne posent aussi, de façon plus générale, celle du profil des membres. À cet égard, les observateurs avertis ont pu relever à partir des années 1990 une triple évolution tendancielle au rajeunissement, à la technisation des compétences et à la féminisation. Sur ce dernier point, après la nomination en 1992 de la première femme au Conseil constitutionnel, Noëlle Lenoir (qui est également la plus jeune membre nommée), une attention à la présence de femmes au Conseil constitutionnel s’est progressivement installée. S’il n’existe pas d’exigence juridique en la matière, depuis une dizaine d’années, le Conseil comprend au moins trois femmes. Lors des nominations de mars dernier, trois d’entre elles achevant leur mandat, la question de savoir si l’équilibre serait maintenu – poste pour poste si l’on peut dire – n’a pas manqué d’être posée. Finalement, deux femmes et un homme ont remplacé les trois sortantes.Mais les débats relatifs au profil des membres ne concernent pas seulement, ni même principalement, la féminisation de l’institution. Deux points restent aujourd’hui sensibles : les compétences juridiques des personnes nommées d’une part, et les liens que celles-ci ont entretenus ou entretiennent encore avec les champs politique et économique. Les réserves formulées ont ici des ressorts multiples.En premier lieu, elles sont inséparables de l’évolution de la physionomie et des compétences du Conseil constitutionnel. Dès lors qu’à partir des années quatre-vingt, le Conseil constitutionnel s’est engagé dans la voie d’une juridictionnalisation de son mode d’organisation et de fonctionnement, mouvement accentué avec la Question prioritaire de constitutionnalité (QPC), il n’est pas surprenant de voir la question du profil des membres et de leur mode de nomination posée. Qui dit juridiction à l’horizon, dit attente de qualités attribuées à la fonction de magistrat : maîtrise des questions juridiques, indépendance, impartialité… À tout le moins, peut-on exiger l’apparence que de telles qualités soient réunies. On pressent toutefois toute la difficulté de l’exercice lorsque – contentieux électoral mis à part –, c’est la loi ou des traités qu’il s’agit de juger au regard d’un texte constitutionnel rédigé pour l’essentiel en termes généraux et abstraits. Ce type de jugement requiert-il les mêmes attributs que celui portant sur des cas individuels ? On se heurte ici à une tension fondamentale, pour le moment non surmontée, qui traverse tout contrôle de constitutionnalité entre, d’un côté, la dimension co-législatrice voire co-constituante et donc inévitablement politique de son exercice et, d’un autre côté, la dimension juridictionnelle de l’organisation et du fonctionnement que les États de droit contemporains veulent lui conférer, tout particulièrement lorsque l’intérêt de justiciables est en cause.En deuxième lieu, les qualités – dorénavant – attendues des membres du Conseil constitutionnel sont aussi à replacer dans un contexte de plus grande exigence de transparence des institutions publiques et de la vie politique. Celle-ci s’accompagne, entre autres, d’une attention de plus en plus prononcée à l’égard des conflits d’intérêts. On comprend alors pourquoi les carrières politiques, militantes et professionnelles des personnes nommées au Conseil constitutionnel deviennent un sujet de réflexion, d’autant plus avec le développement des QPC qui attirent des parties faisant valoir toutes sortes d’intérêts.En troisième lieu, enfin, et à titre presque anecdotique au regard des mouvements de fond précédemment décrits, les interrogations sur le profil des membres nommés reviennent chez celles et ceux qui, notamment au regard des règles de composition des Cours constitutionnelles à l’étranger, estimeraient avoir toute leur place rue de Montpensier mais se sentent ces derniers temps quelque peu laissés pour compte. On pense bien sûr aux professeurs de droit, plus particulièrement de droit constitutionnel.Pour finir, les questions relatives aux personnes et aux profils sont inséparables de celles qui, en amont, se posent sur la procédure de nomination. Sur ce point, pour mémoire, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a eu pour conséquence d’imposer l’audition des personnes désignées pour intégrer le Conseil constitutionnel devant des commissions parlementaires de composition différenciées selon les autorités de nomination Face à ces boîtes noires et questionnements d’ordre déontologique, plusieurs pistes peuvent être envisagées. Certaines exigeraient une révision de la constitution : tout d’abord – vieille antienne – mettre fin à la présence des membres de droit que sont les anciens Présidents de la République ; ensuite, augmenter (jusqu’à 12 ou 15) le nombre de membres ; exiger un délai de carence entre la fin de l’exercice d’une fonction ministérielle ou parlementaire et le moment de la nomination au Conseil constitutionnel ; modifier les procédures et autorités de nomination en instituant, par exemple, une procédure d’appel à candidature puis de choix parmi les candidats en séparant une autorité de proposition et une autorité de nomination (à l’instar de la procédure instaurée pour la Cour européenne des droits de l’Homme) ; définir un profilage général des expériences professionnelles attendues ou des corps d’origine des membres pressentis de telle sorte que soit assurée la présence d’une pluralité de compétences et d’expériences… Pourrait être imaginé un dispositif du type : au moins un membre issu de l’ordre judiciaire proposé par le CSM ou la Cour de cassation, un membre issu de l’ordre administratif proposé par le Conseil d’État, un membre issu de la Cour des comptes proposé par celle-ci, un membre administrateur des assemblées parlementaires proposé par les deux bureaux réunis, un universitaire juriste, un membre issu de la « société civile », le reste au choix, ce qui laisserait la possibilité de nommer des profils plus politiques. Chaque autorité de proposition serait alors appelée à sélectionner deux ou trois candidats parmi lesquels l’autorité de nomination effectuerait son choix final.Tout ceci ne constitue évidemment, avec leurs forces et leurs faiblesses, que des propositions ouvertes au débat. Les enjeux ayant trait aux qualités des personnes qui se voient confier la mission de dire le droit constitutionnel et aux rapports que celles-ci entretiennent avec le monde sociopolitique qui les entoure et dont ils proviennent, ne sont pas seulement affaire de constitutionnalistes. Avec le développement de la QPC, ils concernent aussi plus fondamentalement tout justiciable. Place est maintenant donnée aux arguments pro et contra.

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