27 novembre 2018
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César Castellvi, « Le journaliste et son entreprise au Japon : étude sociologique du travail et des carrières dans un modèle professionnel en mutation », HAL-SHS : sociologie, ID : 10670/1.gq50g6
Cette thèse de doctorat porte sur les relations entre les journalistes de la presse quotidienne japonaise et les journaux pour lesquels ils travaillent. Elle a aussi pour ambition plus large de mener une réflexion sur la place des grandes entreprises dans la société japonaise contemporaine. Le journalisme de presse au Japon est organisé autour d’un élément central : l’entreprise de presse. Les entreprises s’occupent de la formation professionnelle et protègent les reporters de la concurrence, en les intégrant à leur marché du travail interne. Par l’intermédiaire de l’accréditation des reporters aux clubs de presse (kisha kurabu), elles contrôlent également l’accès à la matière première permettant l’exercice de l’activité en donnant un monopole sur les sources institutionnelles à leurs salariés. En retour, elles attendent des reporters un engagement fort et l’acceptation d’une appropriation de leur travail par l’entreprise, appropriation incarnée par l’anonymat des reporters dans les pages du journal. Ces éléments forment la logique organisationnelle du journalisme japonais. Le premier objectif de cette thèse est de décrire les principaux traits de ce modèle, tout en montrant comment coexistent des éléments relevant d’une logique de métier. Un second objectif est d’analyser les conséquences de deux grands mouvements qui ont marqué l’ensemble de l’industrie depuis la fin des années 1990. Propre à l’industrie de la presse, le premier concerne l’évolution du lectorat et les transformations éditoriales auxquelles procèdent les entreprises afin d’y répondre. Le second, qui touche plus largement le monde du travail japonais, renvoie aux transformations de la place de l’entreprise dans la société. La thèse montre que les effets conjugués de ces deux mouvements sont à l’origine d’une forme d’affaiblissement de la logique organisationnelle. Les difficultés rencontrées par les entreprises pour attirer les jeunes diplômés de l’université qui constituent traditionnellement la principale source de main d’œuvre dans les rédactions obligent ces dernières à diversifier leurs recrutements. La féminisation progressive des effectifs des journalistes et un intérêt de plus en plus grand pour l’embauche à mi-carrière de reporters ayant commencé leur carrière dans un autre média sont les témoins de cette diversification des profils. Par ailleurs, la mise en place de nouvelles politiques éditoriales centrées sur la mise en visibilité des effectifs par l’intermédiaire de la signature individuelle des journalistes vient bousculer l’anonymat traditionnel des articles pourtant centrale dans la logique organisationnelle. Ces évolutions viennent renforcer le développement d’une forme de marché du travail professionnel des journalistes où les mobilités entre rédactions sont des expériences de plus en plus partagées. Se situant théoriquement à la croisée de la sociologique interactionniste du travail et des professions, de la sociologie de la presse et de la sociologique économique, cette thèse prend appui sur une enquête de terrain centrée sur la rédaction d’un grand quotidien national, l’Asahi Shimbun, le deuxième plus grand journal au monde par le nombre de ses lecteurs. Les observations menées pendant deux ans et demi au sein de la rédaction du journal ont été complétées par des observations non-participantes plus courtes dans d’autres rédactions. De plus, 72 entretiens qualitatifs ont été menés avec des reporters ainsi que d’autres personnes qui participent plus ou moins directement à la production de l’information au quotidien : certains membres de leur famille et les sources. Enfin, une analyse originale de données statistiques d’origine institutionnelle (associations industrielles, enquêtes ministérielles) complète les données qualitatives et permet d’observer à un niveau macro les transformations de la logique organisationnelle du journalisme japonais.